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mouth, dans le Cumberland, le 7 avril 1770, reçut une bonne éducation, et fut destiné à l’église. Mais son amour de la poésie l’emporta sur son penchant pour l’état ecclésiastique ; de bonne heure il préféra les sentiers périlleux où la muse l’entraînait, à la carrière plus facile qu’on lui offrait, et il prouva par ses ouvrages que sa vocation lui venait du ciel. Ses ballades lyriques parurent accompagnées d’une préface où il analyse les sources de l’inspiration et les règles principales de sa poétique.

« Les qualités nécessaires pour produire la vraie poésie sont, dit-il, au nombre de six : 1o le talent de la description, qualité indispensable, bien qu’on ne puisse le mettre en usage long-temps de suite, car il place les plus hautes facultés de l’esprit dans un état de passivité et de subjection à l’égard des objets extérieurs ; 2o la sensibilité, qui, plus elle est développée, plus elle élargit les conceptions du poète ; 3o la réflexion avec laquelle le poète apprécie les faits, les images, les pensées et les sentimens ; 4o l’imagination pour créer, modifier, rassembler ; 5o l’invention pour établir des caractères en dehors des matériaux fournis pour l’observation ; 6o le jugement pour décider en quel lieu, comment, dans quelle proportion chacune de ces facultés doit être mise en œuvre, et déterminer les lois et le genre particulier de chaque composition.

« De ces sources et de plusieurs autres encore doit jaillir la poésie. On peut croire, ajoute Wordsworth, que des poèmes de natures diverses empruntent leur caractère ou des facultés de l’esprit qui ont présidé à leur composition, ou du moule dans lequel ils ont été jetés, ou des sujets qu’ils traitent. C’est d’après ces considérations que je divise les

    On reconnaît, dans les œuvres de Wordsworth, une douceur d’ame enchanteresse, un quiétisme religieux, une piété profonde. Burns se moque des formes religieuses, bafoue les tartuffes de son pays, déifie la beauté physique, chante le vin et les belles, et même dans ses élans enthousiastes, dans ses caprices de religion, il mêle quelques mots de satire contre les gens qu’il n’aime pas, contre l’hypocrisie et l’austérité. Wordsworth, qui se rattache immédiatement à Cowper et qui l’a continué et épuré, n’est jamais satirique. Sa poésie est un long hymne sur les harmonies de la nature, qu’il aime à retrouver dans les sujets les plus humbles et les plus vulgaires. Burns joignait à une ame affectueuse et passionnée des sens inflammables, un esprit irritable, une grande susceptibilité. L’imagination de Wordsworth est plus haute, mais plus froide : il y a dans sa poésie quelque chose de l’atmosphère sublime et pure des montagnes inaccessibles. Ils ne se ressemblent que par leur sympathie avec la nature, sympathie bien plus sensuelle et plus voluptueuse chez Burns, bien plus métaphysique et plus profonde chez Wordsworth.