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LITTÉRATURE ANGLAISE.

gieuse et l’obéissance monarchique, et réclamèrent hautement la réforme politique et sociale. Shelley eut des admirateurs et des ennemis : les uns découvraient une philosophie aussi haute que profonde dans ses mystiques œuvres ; les autres y voyaient le premier cri d’une révolte impie contre l’église et contre l’état. Quelques critiques lui reprochèrent l’obscurité dans laquelle sa pensée s’enveloppe, et le traitèrent d’insensé. La masse du public reconnut la puissance d’enthousiasme et l’originale grandeur qui présidaient à ses inspirations.

Sa poésie est, en général, vague et nébuleuse. Le Prométhée déchaîné n’est qu’une énigme magnifique ; il y a cependant beaucoup de vérité dans sa tragédie de Cenci, et la concision, la beauté antique et nerveuse de ses poésies fugitives, rappellent quelques-uns des chefs-d’œuvre de Milton.

Shelley périt au milieu d’une tempête qui le jeta sur les côtes d’Italie ; ses amis brûlèrent son cadavre, et placèrent ses cendres dans une urne sépulcrale[1]. Parfait gentleman, sa délicatesse, son honneur, ses manières élégantes lui valurent beaucoup d’amis. À la hauteur de l’imagination, il joignait une sensibilité profonde, des traits de gaîté originale, et ce talent pathétique qui s’adresse au cœur et qui l’émeut[2].

  1. Ce fut Byron qui se chargea de diriger cette étrange cérémonie. Une belle soirée empourprait les vagues de la mer. On choisit une grève solitaire, déserte et pittoresque ; et le poète du doute éleva de ses propres mains le bûcher qui dévora les restes du poète panthéiste, exilé comme lui de l’Angleterre.
  2. Ce poète ne mérite point d’être confondu avec les médiocrités nombreuses que l’indulgente critique de M. Cunningham va passer en revue dans les biographies suivantes. Lui aussi, il a marqué sa trace. Moins populaire de son vivant que Southey et que Moore, la hauteur singulière de sa philosophie, et la platonique élévation de son enthousiasme, ont rendu à son ombre les admirateurs qui avaient manqué à sa vie. Il a des imitateurs aujourd’hui.

    Shelley a poétisé le spinosisme. C’était assurément une grande idée. Que ce système fût bon ou mauvais, c’était du moins un système, quelque chose au-delà du doute que lord Byron professait, au-delà des lieux communs de Th. Moore. L’ouvrage qui rend le mieux la pensée intime de Byron, sa plus complète expression, c’est Don Juan. De l’exaltation à la satire, de l’adoration de la nature aux malédictions jetées sur elle, de la colère frénétique au platonisme pacificateur, la Muse de lord Byron passait sans transition, sans scrupule, sans autre excuse que le scepticisme universel qui le domine. Shelley chante l’ame du monde, Dieu présent partout, visible en toute chose, la matière déifiée, le rocher, la pierre, la fleur, tout ce qui est animé ou inanimé, faisant partie de la déité universelle.