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Jamais la conscience de l’adresse et de l’intrépidité ne se montra plus puissante que dans cette lutte si inégale en apparence, et où toutes les forces passaient du côté de la faiblesse.


La dernière course de la ville durait depuis une heure, et déjà elle se traînait languissante.

Il n’y avait point eu d’abord de chevaliers sur la place. Tout s’était passé entre les combattans ordinaires ; — et puis, soit que les taureaux fussent réellement moins vaillans que ceux des courses précédentes, — soit que l’excessive chaleur de la journée les eût énervés et appesantis, — ils ne se ruaient plus sur leurs adversaires avec la même furie. — Souvent, pour les exciter et leur rendre un peu de colère, il fallait leur infliger le supplice des banderillas de feu ; — il fallait les brûler ainsi tout vivans ou les faire dévorer par les chiens.

L’attention épuisée du peuple fut un instant ranimée par un terrible combat que livrèrent deux dogues à un taureau poltron, qui avait fui devant la lance des picadors.

On les amena, et ils s’élancèrent soudain à la fois vers leur commun ennemi. — À leur approche, celui-ci fit volte-face ; et l’un d’eux, qu’il reçut sur ses cornes, jeté à plus de vingt pieds en l’air, retomba sur le dos, et se brisa les reins. — L’autre, resté seul contre le puissant animal, avait manœuvré long-temps autour de lui avec une infatigable agilité, sautant maintes fois jusqu’à ses oreilles, mais ne pouvant réussir à s’y attacher. — Cependant le taureau, harassé par ces attaques multipliées et les efforts de la défense, était tout haletant. Hors de sa gueule béante et pleine d’écume sortait sa langue gonflée. L’impitoyable chien, trouvant enfin la prise à sa portée, atteignit de ses dents cette langue pendante, et s’y cramponna de toutes ses mâchoires. Le malheureux taureau en perdit ses dernières forces ; n’ayant plus même celle de secouer la tête pour se délivrer, il poussait seulement d’affreux mugissemens de douleur. Le sang ruisselait de son gosier, et inondait le museau du dogue acharné, qui n’abandonnait pas pour cela sa proie, et, comme une sangsue qui s’enivre aux morsures qu’elle a faites, semblait boire et se gorger à ce sanglant et mortel