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tir ou d’arrêter le mal. Quand le plus grand nombre sera venu à nos convictions, alors le poète naîtra. Ce n’est pas nous qui l’aurons créé : il sortira du sein de la multitude pour la dominer. Notre rôle à nous est de l’annoncer et de lui préparer la voie.

Si dans l’accomplissement du rôle que nous avons choisi, nous paraissons nous écarter des méthodes ordinaires ; si nous introduisons dans la critique plusieurs ordres d’idées habituellement développés dans un cercle individuel ; si nous éprouvons constamment la poésie par l’histoire et la philosophie, c’est que nous croyons sincèrement à l’utilité de cette double épreuve ; c’est que nous refusons à l’imagination, si brillante qu’elle puisse être, le droit de se jouer des autres facultés humaines, et de traiter en esclaves les réalités amassées par la mémoire, ou les vérités établies sans retour par le raisonnement.

La fantaisie absolue de M. Hugo met au défi toutes nos théories, et traite avec un égal dédain les récusations tirées de la conscience et de la réflexion, ou la contradiction appuyée de l’autorité des livres. Il ne reconnaît à personne le droit de le chicaner sur son privilége d’inventeur. Il invente en dehors de l’humanité, en dehors de l’histoire. Jusqu’ici, nous le pensions du moins, la pratique individuelle de la vie sociale, l’étude persévérante des monumens du passé, suffisaient aux ressources de la critique. Il n’y avait aucune gloire assurément à manier des armes dont tout le monde peut disposer. La précision et la vivacité dans les évolutions de la pensée signifiaient tout simplement le courage et la franchise d’un homme qui avoue son avis, parce qu’il s’est donné la peine de le trouver, et qui le soutient parce qu’il le croit bon.

Marie Tudor est la sixième tentative dramatique de M. Hugo. Aujourd’hui comme en 1827, nous persistons à croire que le théâtre ne convient pas à M. Hugo. Si l’occasion et la tribune nous ont manqué pour le démontrer à propos de Cromwell, d’Hernani et de Marion de Lorme, nous avons donné sur Triboulet et sur Lucrèce Borgia des conclusions assez positives et assez générales pour être dispensé de récapituler les précédens littéraires du poète. L’Angleterre, la France, l’Espagne, l’Italie, au xvie ou au xviie siècle, peu importe à M. Hugo. Il choisit dans le passé un nom sonore et reluisant, comme une femme choisit l’étoffe d’une robe