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HOFFMANN ET DEVRIENT.

Quand il avait rempli sa tâche, il revenait dans la cave de Luther, et il y avait toujours là une nombreuse réunion impatiente de le voir arriver, qui faisait éclater sa joie à son approche, et qui se formait en cercle autour de lui pour regarder sa physionomie si mobile, pour entendre sa conversation assaisonnée de tant de pointes d’esprit, assez souvent même d’un peu de cynisme.

Un matin, il était encore dans son lit, demi-dormant, demi-éveillé, lorsque sa porte s’ouvre, et il voit entrer Luther. Singulière apparition pour lui, qui n’avait jamais vu Luther que le soir à la clarté des quinquets, au milieu d’une atmosphère de fumée ! Peut-être comprit-il bien le motif d’une telle visite, et, en bon acteur, il tâcha de donner à son maintien et à sa physionomie toute la dignité possible.

Cependant Luther s’approche d’un air embarrassé, fait trois révérences, demande mille pardons, puis avance d’un pas, puis s’arrête encore.

— Eh bien ! Luther, qu’y a-t-il pour votre service ? dit Devrient, d’un ton de voix d’Agamemnon parlant à quelque pauvre Grec.

— Monsieur… en vérité… répond Luther… je regrette extrêmement… mais vous le savez… les temps sont mauvais… je n’ai jamais voulu vous importuner ; mais enfin, il y a bien maintenant quelques centaines de thalers sur votre compte… et…

— C’est bon, je vous comprends, dit Devrient avec la dignité d’un homme qui n’est pas habitué à entendre de telles requêtes ; retirez-vous, vous serez payé.

Et Luther s’en va à reculons, et en donnant force coups de chapeau, et en demandant encore mille fois pardon.

Le soir, cependant, tous les admirateurs de Devrient se sont réunis dans la fameuse cave pour le voir arriver, et point de Devrient ; le lendemain, même déception, le surlendemain, encore. Qu’est-il donc devenu ? Où est-il ? Sait-on s’il est malade, s’il boude, s’il n’a pas été tué en duel, s’il n’est point en prison ? On s’adresse toutes ces questions avec anxiété, on forme mille conjectures, on a recours aux enquêtes, car il n’y va de rien moins que des plaisirs de tout l’hiver, des distractions de chaque soirée. Enfin on apprend que Devrient n’est ni malade, ni en prison, mais qu’il a choisi, pour y tenir ses séances, une autre cave où se rassemblent