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LITTÉRATURE ANGLAISE.


même il n’aurait pas créé cette forme[1], du moins la gloire lui était réservée de mouler poétiquement, de systématiser avec force et avec génie le système nouveau, et de l’environner de cette auréole de gloire que tous les pays civilisés admirent aujourd’hui.

Le Château d’Otrante[2] fut le premier ouvrage qui introduisit en

    tesque et si froide. Dès que ces grands poètes firent jaillir la source ardente de leurs émotions et de leurs souvenirs au milieu de cette société desséchée par tant d’intérêts commerciaux, pécuniaires et politiques, un long cri de joie s’échappa ; vous eussiez dit que la société retrouvait son ame perdue, sa poésie égarée. Plus la contrainte avait été longue, et plus l’enthousiasme fut grand.

  1. Avant Walter Scott, on avait souvent essayé le roman historique : les vieux romans de la Calprenède, le Télémaque de Fénélon, calqué sur la Cyropédie, se rapportent évidemment à cette classe de fiction. Tout le monde se souvient des essais faibles et décolorés, mais quelquefois habiles et délicats dans leurs nuances, que Mme de Genlis avait tentés dans le même genre. John Strutt, antiquaire, avait publié, peu de temps avant l’apparition de Marmion, une fiction intitulée Queen-hoo-hall, et consacrée exclusivement à la reproduction des coutumes du moyen âge. La vie et la vérité des figures, le détail caractéristique des portraits, ont bien plus contribué à la vraie gloire de Walter Scott, que sa science d’antiquaire et la fidélité (souvent assez équivoque) des costumes, des mœurs et des langages qu’il met en œuvre dans ses romans.
  2. Par Horace Walpole. Ce roman est un roman de terreur, comme un palais de pâtisserie est une œuvre d’architecture.

    Horace Walpole, neveu du célèbre ministre Walpole, s’était épris d’une belle passion pour le gothique et le moyen âge. Il avait fait construire à grands frais un petit château féodal avec tourelles, créneaux, machicoulis, ogives et sculptures gothiques. Le mobilier de ce domaine se composait exclusivement d’antiquités recueillies dans toutes les parties de l’Europe, bijoux puériles, bizarres, précieux, à la conservation desquels le seigneur suzerain de Strawberry-Hill dévouait tout ce que lui laissaient de loisir ses nombreuses correspondances, ses frivolités de toute espèce et ses petites intrigues. C’est du temps de Walpole que se fit sentir pour la première fois le retour de l’intelligence anglaise vers les coutumes et les idées du moyen âge. Depuis le règne de Charles ii, la littérature de la France avait été le seul modèle suivi par les écrivains et par les hommes du monde. Shakspeare lui-même languissait oublié ; on ne jouait ses pièces que mutilées et altérées avec des intercalations et des changemens ridicules par Nahum Tate, Dryden et Aaron Hill. Walpole, homme de goût et d’esprit, écrivain élégant, frivole, contribua beaucoup à ce mouvement. Goldsmith, excellent observateur des mœurs de son temps, en a consacré le souvenir dans son Vicaire de Wakefield. Aujourd’hui, dit une