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varié ; de l’esprit, de la tendresse, de la gaîté, de l’originalité, de la légèreté, une imagination vive et agréable, jointe au sentiment du patriotisme et de l’héroïsme. Sans doute, quelques-uns de ses principes déplaisent à un parti : mais est-ce dans la balance politique que son talent doit être pesé ? Le mérite réel de ses ouvrages devrait la protéger contre de si violentes attaques[1].


Hannah More[2] ne doit pas être oubliée, et il est difficile de parler d’elle. La Bible lui fournit ses sujets ; le bien-être éternel du genre humain est le but vers lequel elle tend. Quelque vingt volumes, imprimés en très petits caractères, sont sortis de sa plume, et sont consacrés à cette respectable tâche ; malgré ses efforts pour communiquer la vie dramatique et l’émotion romanesque aux excellens sentimens qu’elle veut inculquer, elle n’a pu réussir dans son dessein, animer ses créations de ce souffle puissant qui les rend populaires et éternelles. Le roman religieux n’a jamais trouvé personne qui ait approché de cet honnête Jean Bunyan[3], l’inventeur du genre. Ses personnifications abstraites sont des réalités vivantes. Ses imitateurs n’ont évoqué que des fantômes allégoriques ; le souffle du lecteur les fait disparaître. Nous n’écoutons pas même leurs discours. Il nous semble voir une tête de bois dans une chaire ; nous devinons la présence du prêtre qui se cache et dicte le sermon que le prédicateur de bois est censé prononcer[4].

À quoi bon le roman pieux ? N’avons-nous pas le Nouveau-Testament, et n’est-ce pas assez ? Le simple langage du Sauveur ne vaut-il pas mieux que les gloses des savans et les spéculations des habiles ? Qui jamais exprimera notre devoir envers Dieu et les hommes mieux que ne l’ont fait le Christ et ses apôtres ? Le ministre de la loi sainte a droit à nos respects ; mais quand les laïques empiètent sur les attributions du prêtre, et, s’armant d’une piété raffinée, se confèrent à eux-mêmes un droit de propagande et d’apostolat, nous refusons de reconnaître leur autorité.


Jeanne Austen s’est frayé, vers la réputation et le succès, une route

  1. La véhémence politique de lady Morgan lui a valu des ennemis, et l’étourderie que cette dame a portée dans tous ses jugemens a dû en augmenter encore le nombre. Nous sommes tout-à-fait de l’avis de M. Cunningham, quant à la grossièreté inexcusable des attaques dirigées contre elle ; l’épigramme suffisait.
  2. Romancière mortellement ennuyeuse dont lord Byron a raison de se moquer, et dont les ouvrages sont entre les mains de toutes les pensionnaires.
  3. Auteur d’une admirable allégorie sacrée, le Voyage du Pélerin (Pilgrim’s Progress).
  4. V. Butler.