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POÈTES ET PHILOSOPHES FRANÇAIS.

tion universitaire, que M. Jouffroy s’exprimait ainsi. Ces cours privés étaient fort recherchés ; quelques esprits déjà mûrs, des camarades du maître, des médecins depuis célèbres, une élite studieuse des salons, plusieurs représentans de la jeune et future pairie, composaient l’auditoire ordinaire, peu nombreux d’ailleurs, car l’appartement était petit, et une réunion plus apparente serait aisément devenue suspecte avant 1828. On se rendait, une fois par semaine seulement, à ces prédications de la philosophie ; on y arrivait comme avec ferveur et discrétion ; il semblait qu’on y vînt puiser à une science nouvelle et défendue, qu’on y anticipât quelque chose de la foi épurée de l’avenir. Quand les quinze ou vingt auditeurs s’étaient rassemblés lentement, que la clé avait été retirée de la porte extérieure, et que les derniers coups de sonnette avaient cessé, le professeur, debout, appuyé à la cheminée, commençait presque à voix basse, et après un long silence. La figure, la personne même de M. Jouffroy est une de celles qui frappent le plus au premier aspect, par je ne sais quoi de mélancolique, de réservé, qui fait naître l’idée involontaire d’un mystérieux et noble inconnu. Il commençait donc à parler ; il parlait du Beau, ou du Bien moral, ou de l’immortalité de l’ame ; ces jours-là, son teint plus affaibli, sa joue légèrement creusée, le bleu plus profond de son regard, ajoutaient dans les esprits aux réminiscences idéales du Phédon. Son accent, après la première moitié assez monotone, s’élevait et s’animait ; l’espace entre ses paroles diminuait ou se remplissait de rayons. Son éloquence déployée prolongeait l’heure et ne pouvait se résoudre à finir. Le jour qui baissait agrandissait la scène ; on ne sortait que croyant et pénétré, et en se félicitant des germes reçus. Depuis qu’il professe en public, M. Jouffroy a justifié ce qu’on attendait de lui ; mais, pour ceux qui l’ont entendu dans l’enseignement privé, rien n’a rendu ni ne rendra le charme et l’ascendant d’alors.

M. Jouffroy en était, en ces années-là, à cette période heureuse où luit l’étoile de la jeunesse, à la période de nouveauté et d’invention ; il se sentait, à l’égard de chaque vérité successive, dans la fraîcheur d’un premier amour ; depuis, il se répète, il se souvient, il développe. Le malheur a voulu qu’avec sa facilité de parler et son indolence d’écrire, il ait improvisé ses leçons les plus neuves, et