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qu’elles n’aient nulle part été fixées dans leur verve délicate et leur vivacité naissante. M. Jouffroy se détermine malaisément à écrire, bien qu’une fois à l’œuvre sa plume jouisse de tant d’abondance. Il n’a publié d’original que la préface en tête des Esquisses morales de Stewart, et ses articles, la plupart recueillis dans les Mélanges : l’introduction promise des œuvres de Reid n’a pas paru. Philosophe et démonstrateur éloquent encore plus qu’écrivain, la forme, qui a tant d’attrait pour l’artiste, convie peu M. Jouffroy ; il souffre évidemment et retarde le plus possible de s’y emprisonner ; il la déborde toujours. La lutte étroite, la joûte de la pensée et du style ne lui va pas. Il ne s’applique point à la fermeté de Pascal ; sa forme, à lui, quand il lui en faut une, est belle et ample, mais lâchée, comme on dit.

Saint Jérôme appelle quelque part saint Hilaire, évêque de Poitiers, le Rhône de l’éloquence gauloise. M. Jouffroy serait bien plutôt une Loire épanouie qu’un Rhône impétueux, comme elle lent, large, inégalement profond, noyant démesurément ses rives.

M. Jouffroy, entré à la Chambre depuis deux ans, a montré peu d’inclination pour la politique, et s’est à peine efforcé d’y réussir. On le conçoit ; dans ses habitudes de pensée et de parole, il a besoin d’espace et de temps pour se dérouler, et de silence en face de lui. Il avait contre son début, dans cette assemblée assez vulgaire, d’être suspect de métaphysique dès le moindre préambule. Et pourtant la parole, hardiment prise en deux ou trois occasions, eût vaincu ce préjugé ; M. Jouffroy aurait eu beau jeu à entamer la question européenne selon ses idées de tout temps, à tracer le rôle obligé de la France, et à flétrir pour le coup la politique de ménage à laquelle on l’assujétit : il n’en a rien fait, soit que l’humeur contemplative ait prédominé et l’ait découragé de l’effort individuel, soit que, voyant une Chambre si ouverte à entendre, il ait souri sur son banc avec dédain.

Car, malgré tout le progrès de la disposition contemplative, il y a en M. Jouffroy le côté dédaigneux, ironique, l’ancien côté actif refoulé, qui se fait sentir amèrement par retours, et qui tranche, comme un éclair, sur un grand fonds de calme et d’ennui. Il y a le vieil homme, qui fut sévère au passé, hostile aux révélations, l’ad-