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LITTÉRATURE ANGLAISE.

anciens plutôt qu’imitateur des écrivains nationaux, il se distingue par la vivacité et la grace de l’imagination, par la vérité des caractères et par l’habileté avec laquelle il s’est associé aux mœurs, aux idées, au langage des peuples étrangers qu’il a dépeints.

« Il serait difficile, dit Gifford, de tourner quelques feuillets de cet écrivain sans y rencontrer d’heureuses esquisses de caractère, des traits originaux, des idées renouvelées et rajeunies par la finesse et la grace avec lesquelles l’auteur les présente ou plutôt les laisse entrevoir. »

Il y a deux défauts dans Anastase. Le héros est un fripon consommé que nous méprisons du fond de notre ame ; la diction de l’auteur, suspendue entre la prose et la poésie, forme une espèce de jargon babylonien que les pédans aiment beaucoup. Hope cependant était homme de bonne compagnie. Amateur éclairé, riche, généreux et bienfaisant, il a laissé de vifs regrets après sa mort[1].

Le Vathek de Beckford n’est nullement anglais. Son inspiration est toute orientale ; aussi cet ouvrage n’a-t-il jamais été populaire, il n’a trouvé d’admirateurs que parmi les hommes lettrés, les savans et ceux à qui de longs voyages et des observations attentives ont permis d’apprécier le mérite et la fidélité du portrait[2].

  1. Roman, voyage et peinture de mœurs, l’Anastase de Thomas Hope s’est emparé d’une place originale dans la littérature anglaise. Il a ouvert la voie à Morier, à Basil Hall et à beaucoup d’autres. Le héros d’Anastase, aventurier comme Gilblas, spirituel comme lui, est un Grec qui voyage à travers l’Orient moderne, exploitant les hommes et le hasard, jouant avec assez de malice, de grace et d’effronterie, son jeu de Panurge et de Figaro ; brave dans l’occasion ; héros par hasard ; raisonnant philosophie quand il est las de son rôle périlleux ; mêlé d’ailleurs à mille événemens romanesques, à mille scènes pathétiques, grotesques, terribles, qui reproduisent les mœurs orientales de la manière la plus vive et la plus vraie. Cet Anacharsis fripon qui explore l’Asie moderne, comme l’Anacharsis d’autrefois explorait la Grèce héroïque, n’aurait point trouvé toutes ces excellentes peintures, s’il eût été moral, grave, enfin honnête homme. Le style coloré, fin, animé, nouveau, qu’il emploie, est un mérite ajouté à tant de mérites différens ; c’est bien le langage d’un homme placé sur la limite de l’Occident qui juge, et de l’Orient qui se laisse vivre et se contente de jouir ; langage émané d’une sensibilité mobile et capricieuse ; idiome qui se ressent à la fois des mœurs de Constantinople moderne et des souvenirs classiques. Les qualités d’Anastase ne sont pas populaires. C’est un chef-d’œuvre que les gens de goût et de poésie savent apprécier.
  2. Beckford, contemporain de Walpole, et que M. Allan Cunningham, par