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superstitieuse. À quelques lieues de Tours, sur la rive droite de la Loire, se trouvait un couvent célèbre par des reliques de saint Martin ; pendant que les Franks ravageaient la rive gauche, une vingtaine d’entre eux prirent un bateau pour passer à l’autre bord, et piller ce riche monastère. N’ayant pour diriger le bateau, ni rames, ni perches ferrées, ils se servaient de leurs lances, tenant le fer en haut et appuyant l’autre bout au fond de la rivière. En les voyant ainsi approcher, les moines, qui ne pouvaient se méprendre sur leurs intentions, vinrent au-devant d’eux, et leur crièrent : «  Gardez-vous, ô barbares ! gardez-vous de descendre ici, car ce monastère appartient au bienheureux Martin[1]. Mais les Franks n’en débarquèrent pas moins ; ils battirent les religieux, brisèrent les meubles du couvent, enlevèrent tout ce qui s’y trouvait de précieux, et en firent des ballots qu’ils empilèrent sur leur embarcation[2]. Le bateau, mal conduit et chargé outre mesure, alla donner dans un de ces bas-fonds qui encombrent le lit de la Loire, et y resta engravé. À la secousse produite par ce temps d’arrêt, plusieurs de ceux qui manœuvraient, en poussant de toutes leurs forces pour faire marcher la lourde barque, trébuchèrent, et tombèrent en avant, chacun sur le fer de sa lance qui lui entra dans la poitrine ; les autres, saisis à la fois de terreur et de componction, se mirent crier et à appeler du secours. Quelques-uns des religieux qu’ils avaient maltraités, accourant alors, montèrent dans une barque, et virent, non sans étonnement, ce qui était arrivé. Pressés, par les pillards eux-mêmes, de reprendre tout le butin enlevé dans leur maison, ils regagnèrent la rive en chantant l’office des morts pour l’ame de ceux qui venaient de périr d’une manière si imprévue[3].

Pendant que ces choses se passaient en Aquitaine, le roi Sighe-

  1. Nolite, ô barbari, nolite hic transire : beati enim Martini istud est monasterium. Greg. Turon., lib. IV, pag. 228.
  2. Illùc transgrediuntur, et, inimico stimulante, monachos cædunt, monasterium evertunt, resque diripiunt : de quibus facientes sarcinas, navi imponunt. Greg. Turon., lib. IV, pag. 229.
  3. Quibus interfectis, monachi ipsos et res suas ex alveo detrahentes, illos sepelientes, res suas domui restituunt. Greg. Turon., lib. IV, pag. 229.