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créateurs le premier rang qu’ils méritent, il semble qu’un excellent traducteur doit être placé immédiatement après au-dessus des écrivains qui ont aussi bien écrit qu’on peut le faire sans génie[1]. On ne saurait traduire convenablement Tacite sans être soi-même un bon écrivain ; et encore une fois nous ne pouvons payer de trop de reconnaissance les hommes éminens qui, comme M. Burnouf, prêtent à l’étude de l’antiquité l’appui désintéressé de leur talent, et forment ainsi un noble contraste avec ces spéculateurs de traduction et de philologie, faisant de l’érudition classique métier et marchandise, fléaux de la vraie science, espèce pullulant en tous pays, aussi bien en Allemagne qu’en France, et que vient de marquer d’une énergique réprobation M. Otfried Müller dans la préface de sa nouvelle édition de Varron.

La traduction de M. Burnouf nous paraît convenir parfaitement aux dispositions de notre siècle. Elle est à la fois libre et fidèle, mâle et correcte ; elle reproduit sincèrement l’auteur ancien par une réalité à la fois antique et moderne. Nous ne citerons rien ; une citation unique serait tout ensemble insuffisante et inutile : que ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas encore la traduction nouvelle, s’en procurent le plaisir et l’instruction : nous les renvoyons surtout aux premiers livres des Annales ; peut-être dans les Histoires, M. Burnouf ne s’est-il pas assez permis toutes les hardiesses légitimes qui naissaient naturellement sous sa plume ; peut-être les a-t-il effacées. Quoi qu’il en soit, nous l’engageons à les rétablir dans une nouvelle édition, et à remettre certains endroits des Histoires à l’unisson des vigoureuses couleurs qui se font voir dans la traduction des Annales.

Les notes qui accompagnent la version nouvelle témoigneraient seules de la science classique du traducteur. On a dit que lorsqu’un Allemand faisait un livre, il y mettait sa bibliothèque ; il y a malheureusement parmi nous beaucoup d’écrivains qui seraient embarrassés pour se rendre coupables d’une semblable diffusion. M. Burnouf n’a pas mis dans ses notes toute l’érudition qu’il possède, mais il a choisi avec un goût infini parmi les richesses qu’il tient à sa disposition. Il résume avec la conscience la plus probe tout ce

  1. D’Alembert, observations sur l’art de traduire.