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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

transition comme Corneille, et un juste-milieu comme Louis-Philippe, moins le génie de l’un et la royauté de l’autre[1].

Donc, en 1828, la révolution littéraire était complète, dans la philosophie comme dans l’histoire, dans l’ode comme dans l’épopée. Que restait-il encore à renouveler ? Le drame.

L’un avait dit : À moi la prière et ses ailes de séraphin !

Un autre : — À moi le monde et ses trésors de poésie !

Un troisième : — À moi l’ame et ses mystères !

Il fallait qu’un quatrième vînt qui dit : — À moi l’homme et ses passions !

Et il ne suffisait pas de le dire ; ici surtout, il fallait que la volonté fût inébranlable et le génie patient. En se plaçant sur le terrain des passions humaines, on devait commencer par en vaincre de nombreuses, d’opiniâtres, de désespérées. Barricadés dans la tragédie, comme dans leur dernier retranchement, les ennemis du mouvement littéraire, auxquels différentes escarmouches venaient d’enlever insensiblement toutes leurs positions, avaient compris qu’il s’agissait pour eux de vaincre ou de mourir. Flanqués du monopole et du privilège, ils s’efforçaient de tenir le drame emmailloté dans les règles d’Aristote et dans les langes de l’imitation ancienne. Excepté quelques voix généreuses, qui criaient : En avant ! et notamment celle de Sainte-Beuve, placé dès-lors aux avant-postes littéraires et comme aristarque et comme poète, toute la critique à cette époque n’était qu’une machine d’enrayure. Ajoutez à cela que, maîtres de la scène, deux acteurs de génie, Talma et Mlle Mars, avaient jeté leur manteau de pourpre sur l’agonie du vieux théâtre, si bien qu’à le voir ainsi paré, ainsi soutenu, tel qu’une momie royale entre deux dieux égyptiens, la foule se prenait à dire : Il est debout ! il vit !

Il y avait pourtant alors dans les bureaux du Palais-Royal un expéditionnaire qui ne pensait pas comme la foule, et qui se sentait assez de talent et d’énergie pour prouver qu’il avait raison de penser autrement. Né le 24 juillet 1813 à Villers-Cotterets, petite

  1. Nous devons excepter de cette littérature agenouillée sous le sabre, l’auteur d’Agamemnon et de Pinto, M. Lemercier, génie original dont nous ferons peut-être un jour la biographie critique.