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ville du département de l’Aisne, fils d’un général qui, des trois choses que les capitaines français trouvaient à la suite du drapeau tricolore, sur toutes les grandes routes de l’Europe, à savoir, la mort, la gloire, la fortune, n’avait rencontré que les deux premières ; ce jeune homme se trouva, à l’âge de 20 ans, avec une mère à soutenir, un nom à porter, un avenir à faire, une éducation à refaire. On a déjà lu dans cette Revue le récit qu’il trace lui-même de son départ de Villers-Cotterets, de son arrivée à Paris, et de la faveur qu’il dut au général Foy et à sa belle écriture d’entrer dans les bureaux du duc d’Orléans, aujourd’hui roi. « Alors, c’est M. Dumas qui parle, commença cette lutte obstinée de ma volonté, lutte d’autant plus bizarre qu’elle n’avait aucun but fixe, d’autant plus persévérante que j’avais tout à apprendre. »

Il s’en plaint comme d’un malheur, je serais tenté de l’en féliciter comme d’une chose heureuse. S’il n’entrait pas dans le monde avec la science des écoliers de son âge, il se rendait du moins cette justice, qu’il avait tout à apprendre, et qu’il devait se faire lui-même, ainsi que la plupart des hommes remarquables. Privé des bienfaits d’une éducation universitaire, il avait échappé en revanche aux dangers de cette serre chaude, où trop souvent les fruits avortent à force d’être précoces, et où presque toujours l’uniformité tue l’originalité. Que M. Dumas ne calomnie donc pas son enfance ; car si, d’une part, il doit aux vices de son éducation d’ignorer beaucoup de choses, je crois qu’elles étaient inutiles pour la spécialité à laquelle son talent l’appelait ; et, d’autre part, si, par suite de cette incurie, il a été souvent injuste envers le théâtre de Racine, qui, malgré son costume antique, est une de nos gloires nationales, ses préventions même le prédisposaient admirablement à une forme nouvelle. Pour les réformateurs comme pour les révolutionnaires, il s’agit encore plus de frapper fort que de frapper juste ; aussi, aveugles ou non, ils commencent presque tous par mépriser leurs devanciers et diffamer le passé.

Pour réparer les vices de son éducation, M. Dumas aurait pu se trouver dans des conditions meilleures. Il passa trois ans dans l’étude et le silence, « sans rien produire, sans même éprouver le besoin de produire. » Il suivait bien avec une certaine curiosité les œuvres théâtrales du temps dans leurs chutes ou leurs succès ;