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part, qu’un scepticisme doré, sans conscience ; parce qu’enfin la vie du poète, vouée jadis à l’art comme à une maîtresse unique qu’on respectait et qu’on adorait jusqu’au tombeau, jusqu’au martyre, est maintenant une continuelle débauche d’esprit et de sens, dans laquelle, à l’ivresse de l’orgie, succède la fièvre d’un travail factice et forcé, jusqu’à ce que l’ame et le corps s’énervent, s’abrutissent, et meurent au plaisir et à la peine. Et ce n’est pas l’exception, mais la règle. À peine le jeune homme s’est-il absous, par un succès, du désintéressement de ses premiers travaux et de la virginité de ses premières amours, qu’il se rue aussi dans le vice et le négoce. Que de Capoue pour nos pauvres vainqueurs ! Où est le talent qui puisse résister à de pareilles épreuves ?

Le crime d’avoir fait la Tour de Nesle après M. Gaillardet, sans M. Gaillardet et malgré M. Gaillardet, M. Dumas l’a expié par une absence du théâtre d’environ vingt mois. Ce temps n’a toutefois pas été perdu pour sa réputation. Après avoir visité l’Italie et la Suisse, il a étudié les annales de notre histoire ; et, fruits de ses excursions dans l’immortel passé de notre France et dans l’éternel présent de l’Helvétie, il nous a donné des Chroniques et des Impressions de Voyages. Les lecteurs de cette Revue sont déjà familiarisés avec la manière de l’auteur. C’est presque en famille que nous parlons maintenant, et nous ne prétendons ici que transmettre leurs avis et consigner leurs observations.

Les Impressions de Voyages sont un ouvrage à part, sans modèle, que je sache. Ne demandez à M. Dumas ni le sentimentalisme philosophique de Sterne, ni l’exquise sensibilité de M. X. de Maistre, ni l’observation déliée de Regnard, ni la scrupuleuse exactitude de Bougainville. Ce n’est complètement rien de tout cela, mais c’est quelque chose de tout cela. On ne dira pas non plus de lui ce qu’Horace disait d’Homère, qu’il y a plus de philosophie dans son Odyssée que dans tout Leucippe et Crantor. Je vous avouerai aussi tout bas, confidentiellement, que je le soupçonne un peu de faire parfois de la géographie à la façon dont Vertot faisait de l’histoire, — comme du roman et du drame. — Que voulez-vous ? ce n’est pas ce qu’il fait le moins bien, j’imagine. Poète dramatique, le monde est pour lui un immense théâtre, où il va semant le mouvement et la vie partout sur son passage, animant de ses passions tout ce