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LITTÉRATURE ANGLAISE.


Dieu. Un désir immodéré de changement s’était violemment saisi de la société ; elle voulait une régénération politique, et croyait à la perfectibilité. De là le projet d’anéantir, comme attentatoires à sa majesté souveraine, tous les vieux récits, et, comme Adam, de commencer un nouveau monde.

Nos critiques imaginèrent que le corps social tombant en ruines, il en devait être ainsi de tout le reste ; ce fut là leur erreur : s’il y avait des abusés, et il y en avait beaucoup, la littérature n’était pas de ce nombre. Elle était sortie spontanément de la tête et du cœur ; si la nature avait raison, la littérature ne pouvait avoir tort. Pour rendre leurs doctrines populaires, il fallait d’abord que les critiques commençassent par rabaisser Wordsworth, Southey et Coleridge ; ils dépeignirent ces grands poètes comme des esprits à rebours, des rêveurs enthousiastes qui ne voulaient pas que leurs chants ressemblassent aux chants des autres hommes, et qui manquaient tout à la fois de goût et de génie. Bientôt ces arbitres de la littérature, se regardant, sinon comme des dieux, du moins comme les premiers des hommes, exigèrent que leurs décisions fussent reçues comme des lois. Cependant l’esprit de parti dictait leurs jugemens. Ainsi tous les poètes dont le génie suivait les principes whigs furent élevés par ces critiques au delà de leur sphère naturelle, et offerts au public comme dignes de toute son admiration. Crabbe occupa un rang élevé sur ce parnasse du nord ; Campbell en fut l’étoile polaire, tandis

    les classes, l’ambition qu’elles ont éveillée, la lumière controversale qu’elles ont jetée sur toutes les questions. Sans elle, Southey, toujours ridiculisé malgré son génie, aurait-il donné ses quatre poèmes épiques et ses deux ouvrages d’histoire ? Walter Scott eût-il soutenu jusqu’à la dernière vieillesse non-seulement la fécondité, mais le courage de son talent ? Wordsworth eût-il expliqué, dans d’admirables pages métaphysiques, le mécanisme secret de sa pensée ? Byron aurait-il jeté, comme une vengeance dans la société qu’il détestait, et au milieu des critiques qui l’avaient traité comme un écolier insolent, neuf ou dix volumes de chefs-d’œuvre ? Nous aurions bien autre chose à dire, si nous voulions parler de l’influence qu’a exercée la critique périodique sur la politique de l’Angleterre. C’est par elle, c’est en luttant contre les tories par le savoir, l’ironie et le bon sens, que Brougham a préparé la réforme. C’est par elle que l’intérêt tory, aujourd’hui menacé de ruines, se défend encore avec courage, souvent avec succès, dans les pages éloquentes de Wilson. La bibliothèque qui renfermerait toutes les Revues, tous les Magasins publiés depuis 1800 en Angleterre, offrirait le résumé complet de toutes les conquêtes des sciences morales, politiques, industrielles, pendant la première partie du xixe siècle.