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LE MARQUIS DE SANTILLANE.

la jeunesse nous fait aimer les armes, les joutes et les autres exercices de courtoisie chevaleresque : c’est ainsi que bien des choses vous plaisent aujourd’hui à vous, seigneur, qui ne me plaisent déjà plus à moi. Mais, pour vous prouver ma bonne volonté et mon empressement à obéir à vos ordres, j’ai fait recueillir mes œuvres de toutes parts, dans les livres et parmi celles des autres poètes, je les ai fait copier suivant l’ordre où je les ai composées, et je vous les envoie dans ce petit volume.

« Mais quelle que soit l’insuffisance de ces opuscules que vous m’avez demandés, seigneur, je puis vous assurer que j’ai un grand plaisir à voir que tout ce qui est du domaine de la poésie vous plaise, et j’en trouve la certitude aussi bien dans votre gracieuse demande que dans quelques jolies choses que j’ai vues de votre composition, parce que ce goût est un zèle céleste, une affection divine, un appétit insatiable de l’esprit, comme la tendance de la matière vers la forme et de l’imparfait vers la perfection, et jamais cet amour de la poésie et de la gaie science ne s’est rencontré que dans les esprits élevés et supérieurs.

« Et qu’est-ce que la poésie, qu’en langue vulgaire nous appelons la gaie science, si ce n’est une utile fiction, couverte d’un beau voile, et dont l’expression se distingue par un certain nombre, par un certain rhythme et par une certaine mesure ? Ceux-là se trompent certainement qui prétendent qu’elle ne consiste qu’en vaines futilités. Car, ainsi que les jardins abondans donnent des fruits convenables dans toutes les saisons de l’année, de même les hommes heureusement nés, qui ont reçu d’en haut cette science infuse, s’en servent conformément aux différens âges de la vie. Et si les sciences sont désirables, comme dit Cicéron, quelle est celle qui est supérieure à la poésie, qui est plus noble, ou plus digne de l’homme, qui répond mieux à tous les besoins de l’humanité ? Les difficultés dans lesquelles elles s’enferment, qui nous en ouvre l’entrée, si ce n’est la douce et belle éloquence, soit en vers soit en prose ?

« L’excellence et les prérogatives de la poésie et des vers sur la simple prose sont manifestes, excepté seulement pour ceux qui prétendent aux honneurs du paradoxe au préjudice de la vérité. Suivant donc la voie des stoïciens qui cherchèrent avec une