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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

Quand l’artiste et le savant instruisent le peuple, ils augmentent et exhaussent le public, dont ils relèvent ; ils rendent aussi plus nombreux et plus puissans les mobiles de leur génie. Quel poète, quel orateur, quel historien, quel statuaire, vraiment visité par l’enthousiasme, ne voudra pas appeler à la contemplation de son œuvre la plus grande majorité possible du genre humain, et ne voudra pas multiplier les échos sonores qui lui renvoient la gloire, les acclamations et les avertissemens ? Tournez-vous vers le peuple, artistes de notre âge, comme les orateurs d’Athènes se tournaient vers la mer ; parlez à tous, inspirez-vous de l’infini ; dédaignez les choses éphémères ; ne regardez même pas les idoles dorées ; n’ayez d’autre maître que Dieu, et d’autre roi que le peuple.

Si le peuple est souverain, il faut l’instruire ; mais comment est-il souverain ? La souveraineté du peuple est éternelle ; son application est successive.

La souveraineté du peuple est éternelle. Dès l’origine des sociétés, il a été vrai que la souveraineté appartenait aux sociétés même ; la souveraineté du peuple n’est autre chose que la supériorité de ce qui est général sur ce qui est particulier, du dévouement sur l’égoïsme, du droit universel sur le droit individuel ; la souveraineté du peuple est la traduction humaine de l’omnipotence de Dieu ; elle est la plus grande idée qui puisse avoir cours sur la terre ; elle est contemporaine de la vérité et du commencement des âges ; elle ne s’évanouira que dans le sein de Dieu, rappelant à lui les mondes ; elle est si peu, dans son essence, le triomphe brut de la force matérielle, qu’elle est le dogme le plus idéal auquel puisse s’élever l’esprit.

L’application de la souveraineté du peuple est successive, parce que l’éternité de la vérité ne se développe sur la terre que par la chronologie. Le prêtre a dit qu’il était peuple, et il ne mentait pas. Le roi, plus populaire que le noble, vint dire qu’il affranchissait le peuple, et il l’affranchit en effet. L’affranchissement donne la liberté ; la liberté mène à la science, et la science au pouvoir.

Instruire le peuple, c’est faciliter et élargir l’application de sa