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se trouvent à une bien autre profondeur que celle où croient les saisir de superficielles mélancolies. Il y a des hommes qui pleurent quand ils voient des ruines, ne soupçonnant pas que ces ruines sont la seule consolation du genre humain : mais pour pleurer plus justement, pleurons sur la difficulté de bâtir, ou plutôt n’amolissons pas par des larmes la trempe de notre volonté et encourageons le genre humain par des espérances pleines de raison et de gravité.

Quand on croit à la souveraineté du peuple, et qu’on a reçu du ciel la vocation d’artiste ; quand, par les vers, la palette ou le ciseau, on a mission d’enchanter les hommes et de leur donner des pressentimens de l’éternelle beauté, on puise dans l’amour du peuple cette moralité instinctive et profonde qui a toujours servi de fondement sacré aux chefs-d’œuvre reconnus et adorés par le genre humain. Le vrai poète ne peut pas plus renier le peuple, qu’il ne saurait renier Dieu : le grand écrivain, qu’il se serve du mètre ou de la prose, appartient au peuple, il rougirait d’écrire pour une caste et de descendre à une littérature aristocratique ; son génie est à lui, son ame à tous ; il frappe à son coin les idées du genre humain, métal précieux qu’il importe de faire circuler entre toutes les mains. On ne saurait contempler les débris mutilés de la sculpture antique, sans que ces marbres divins ne vous offrent une grande leçon : par ces vestiges on reconnaît comment les anciens comprenaient l’art ; ils s’en servaient pour prêter aux croyances sociales la forme la plus harmonieuse et la plus belle ; la société tout entière passait, pour ainsi dire, dans l’ame de leurs statues, et la pensée devenait claire à tous par des miracles de proportion et de grandeur, de convenance et de beauté. L’idéal et le populaire sont plus voisins qu’on ne pense. L’imagination du peuple offre toujours à ce qui est vraiment sublime une avide et intelligente passivité : elle s’ouvre plus facilement aux grandes splendeurs, qu’à ce qui est médiocre, restreint et terne.

Enfin, si vous croyez à la souveraineté du peuple, et si, poussé dans la vie publique, vous concourez soit au pouvoir législatif, soit au pouvoir exécutif, la foi qui vous anime agrandira vos actions et vos pensées. La politique, cette science et cette application