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MÉMOIRES DE MIRABEAU.

énoncées par un biographe sont elles-mêmes la critique la plus sévère du procédé qu’il suit : nous ne nous arrêterons pas à les réfuter. M. Lucas-Montigny s’appuie en un endroit, sans en rien citer, d’un cahier de Dialogues dont Mirabeau parle souvent dans ses lettres du donjon de Vincennes. Ces dialogues, qu’il avait écrits pour se repaître, ainsi que Sophie, du souvenir des premiers jours de leur liaison, sont aux mains du biographe qui n’en donne aucun extrait. Et pourtant ces souvenirs des commencemens doivent être pleins de pureté et de charme, lorsque le prisonnier de Joux, jouissant d’une demi-liberté, venait à Pontarlier chez le vieux marquis de Monnier dont la maison lui était ouverte, lorsqu’il racontait devant lui et sa jeune femme les malheurs et les fautes qui l’avaient conduit là, et qu’elle, comme Desdemona aux récits d’Othello, comme Didon aux récits d’Énée, comme toutes les femmes qui écoutent longuement des exploits ou des malheurs, pleurait et l’aimait pour ce qu’il avait fait et subi, pour ce qu’il avait souffert. On y verrait, dans ces dialogues, d’après ce qu’avance M. Lucas-Montigny, que ces étincelles de première passion ne furent pas chez Mirabeau sans combat, qu’il chercha même par un attachement peu sérieux et assez subalterne à détourner l’orage qu’il sentait naître, et à faire avorter son périlleux amour. Certes, de tels dialogues, pour peu qu’ils répondent à l’idée qu’on s’en figure, seraient la justification la plus insinuante et la plus naturelle de l’éclat désastreux et de la ruine qui survinrent : nous voudrions que M. Lucas-Montigny se laissât fléchir.

M. Lucas-Montigny se plaint amèrement de Manuel, l’ancien procureur de la commune, qui, en publiant le recueil des lettres à Sophie, a négligé quelques suppressions faciles, quelques arrangemens de convenance et de morale, qui auraient suffi pour rendre cette lecture irréprochable ou du moins attrayante sans mélange. Nous sommes de son avis en cela, et il nous semble qu’en ce qui touche les portions toutes romanesques de la vie des grands hommes, s’il y a peu à faire pour les rendre plus complètes et harmonieuses, il est permis de l’oser. Mais un goût parfait, une discrétion extrême devraient présider à ces légères et chastes atteintes. En lisant les admirables lettres de Diderot à sa Sophie (car c’était aussi le nom de Mlle Voland), j’ai regretté vers la fin d’y trouver