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MÉMOIRES DE MIRABEAU.

Montigny qu’il faut lire les preuves de ces tempéramens indomptables et de ces vertes intelligences. Le marquis de Mirabeau, en 1778, écrivait au bailli son frère : « Sitôt qu’un mien désir n’est pas combattu par ma conscience, j’ai des ressources pour en venir à bout…. Quand on m’exaltait tant, on me faisait hausser les épaules (il dit ailleurs : rire des épaules) ; mais quand on voudrait m’humilier, le sentiment intime résiste et contient le poids de toute la colonne d’air extérieur. Je sais que je suis, à les en croire, le Néron du siècle ; que les femmes veulent me traiter comme Orphée, et les avocats comme Romulus ; mais que m’importe ? Si j’étais sensible au toucher, il y a long-temps que je serais mort. Qu’importe qu’ils essaient de me déchirer dans ma cuirasse d’honneur, désormais trop dure et trop cicatrisée pour que de pareils coups puissent pénétrer ? Le public n’est point mon juge. Je foule aux pieds ses jugemens ignorans et précipités par des passions d’emprunt… ; et tant que santé et volonté me dureront, je serai Rhadamante, puisque Dieu m’y a condamné. » Ainsi parlait de lui-même, en style de Saint-Simon, ce représentant du xvie et du xviie siècle dans le xviiie, cette nature d’homme à la Montluc et à la d’Aubigné, vénérable jusque dans sa cruauté patricienne, cette volonté de fer dans un corps de fer. M. Hugo a tout d’abord tendu la main à ce haut et grave vieillard ; c’est ainsi qu’il les aime, qu’il les peint et qu’il les rêve : don Ruy Gomès de Sylva, dans Hernani n’est pas d’une autre souche ; et lui-même, poète, il m’a fait souvent l’effet de représenter cette sorte de type inflexible, transporté, dépaysé dans la littérature et dans l’art de nos jours.

En parlant de Mirabeau, il était difficile qu’une imagination amante des gloires sombres et fortes, qui s’était attaquée déjà à Cromwell, à Richelieu, à Charles-Quint, à Louis xi, à Napoléon, ne se prît pas au côté purement et simplement grand, et n’y sacrifiât point les considérations autres qui tempèrent et corrigent, qui agrandissent les fonds du tableau, mais diminuent la hauteur de la principale figure. M. Hugo, selon nous, n’a pas évité cet écueil, et peut-être ne l’aurait-il pas voulu. Ce qui l’a frappé avant tout dans Mirabeau, c’est le contraste de cette jeunesse persécutée, flétrie, verrouillée, et de son merveilleux avènement politique ;