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SOUVENIRS D’UN OFFICIER DE MARINE.

dans une des tavernes les plus fréquentées de Corke ; vous vous donnez comme un jeune matelot déserteur ; on vous ouvre, on vous entoure, on vous interroge. Vous jetez l’alarme parmi ces coquins, et puis vous feignez de vouloir vous échapper à Cove, où ils ne manquent pas de vous suivre.

— Après ?

— Le reste me regarde.

La commission dont on me chargeait, quoique peu honorable, n’avait cependant rien de déloyal, ni de dégradant dans notre opinion de marin : aussi ne fis-je pas beaucoup le scrupuleux, et je partis dans mon grand costume, c’est-à-dire en chemise de flanelle rouge, sans gilet, le bonnet de coton bleu sur l’oreille, un vieux pantalon sale d’une largeur démesurée, une jaquette bleue en forme de blouse, et, pour compléter ce déguisement, une énorme chique entre la gencive et la joue.

— Courage, Tom ! vous avez l’air d’un coquin fini !

Je ne tardai pas à m’enfoncer dans le quartier le plus populeux, et me dirigeai vers une vieille lanterne que je voyais briller à l’extrémité du quai ; bientôt je me trouvai devant un mauvais cabaret sale et malpropre, dont l’apparence extérieure donnait assez bien l’idée d’un repaire de bandits et de vauriens de toute espèce. La porte, petite et basse, de ce taudis avait à hauteur d’homme une ouverture carrée à travers laquelle je passai la tête.

— Holà ! quelqu’un ! criai-je.

Point de réponse. Dans ces repaires, où l’on craint sans cesse la descente de la justice, on n’est jamais pressé d’ouvrir : c’est pour cela même que la porte est munie d’une ouverture, appelée le trou de l’espion, qui, comme les meurtrières d’un fort, sert à surveiller l’ennemi.

Je tournai la tête du côté de la rue, et j’aperçus M. Trinelle se promenant de long en large. Cette vue m’encouragea, j’appelai de nouveau, et j’ébranlai vigoureusement la porte, Aussitôt des pas légers se firent entendre, et une figure fraîche et jolie vint s’encadrer au guichet.

— Qui frappe ? Qui demandez-vous ?

— Oh ! je ne demande personne ; seulement, si vous ne m’ou-