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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/351

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REVUE. — CHRONIQUE.

M. Thiers seul parla après M. Humann ; encore se contenta-t-il de s’écrier de cette voix qu’on lui envierait à la chapelle Sixtine, qu’il ne pourrait accepter la responsabilité qui porterait sur lui avec un budget moindre. Or on sait combien M. Thiers est difficile en fait de responsabilité.

Le ministère a reçu des dépêches dont il ne manquera pas de se féliciter à la chambre, et dont il compte bien se servir pour faire accepter son budget. Le maréchal Maison, notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, a reçu le meilleur accueil de l’empereur Nicolas ! L’empereur Nicolas veut bien oublier que nous ne l’avons pas empêché d’écraser la Pologne. Il daigne consentir à ce que nous le laissions s’emparer de Constantinople, ou tout au moins nous fermer la mer Noire. Il a montré un visage aimable et riant au maréchal Maison ; il s’est fait présenter ses aides-de-camp, ses secrétaires d’ambassade. Réjouissons-nous ! La France est sauvée ! L’empereur des Russies vient de recevoir en grace le roi des Français.

Il est certain que cette apparence de rapprochement a causé une grande joie au château, où l’on éprouve depuis quelque temps des inquiétudes au sujet de l’alliance avec l’Angleterre. L’appui de l’Angleterre peut manquer au premier moment ; elle sent qu’on n’a d’intimité qu’avec elle, que les autres puissances repoussent le cabinet des Tuileries, et elle se montre exigeante. La question d’Alger n’a pas été abandonnée par elle, et d’un jour à l’autre il peut arriver de Londres une sommation d’évacuer le territoire d’Afrique. Que ferait-on alors si on n’avait préparé quelque autre alliance ? Ce n’est pas que la volonté souveraine qui décide en tout tienne beaucoup à Alger. On sait qu’à l’époque du premier départ de M. de Talleyrand pour Londres comme ambassadeur de Louis-Philippe, M. Molé étant ministre des affaires étrangères, il fut beaucoup question de l’évacuation d’Alger dans le conseil, et que M. de Talleyrand, fortement appuyé par le roi, insista pour emporter en Angleterre l’autorisation d’annoncer l’abandon de notre conquête, ce qui devait, disait-il, singulièrement faciliter la négociation de l’alliance qu’il projetait. M. Molé, dont le ministère a laissé d’honorables souvenirs, protesta vivement contre cette pensée, et M. de Talleyrand n’emporta, dit-on, qu’une promesse verbale du roi. On croit savoir que c’est l’exécution de cette promesse qu’on réclame aujourd’hui, et assez vivement pour avoir engagé la pensée suprême à se tourner, à son grand regret, du côté de Saint-Pétersbourg.

On ne pouvait faire un meilleur choix que celui du maréchal Maison, qui a été précédé à Saint-Pétersbourg par la recommandation du roi de Prusse, et par le souvenir de ses liaisons amicales avec l’empereur Alexandre. On sait que le maréchal Maison, chargé de défendre, en 1814