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Cette chanson et une autre, écrite avec une imprudence tout aussi périlleuse, ayant attiré sur Bracciarone la vengeance des sectaires qu’il avait compromis, le poète exprima dans une nouvelle pièce de vers, la double haine à laquelle sa position le mettait en butte, entre la vie et la mort, ce qui veut dire entre les Gibelins et les Guelfes, ou les impérialistes et les papistes. Il dit donc :


Io dell amore deggio esser temente :
La vita dunque e’l morir mi contara,
Poi d’ogni parte sol mi veggio odiare…
Che vita m’odia e morte mi minaccia.
Di che ora mi taccio,
A non parlar volerne più avante ;
Che parlato aggio, dettone sembiante,
Che alcun mi puote ben aver inteso.


« Pour moi je dois redouter l’amour. La vie et la mort me sont donc contraires, et la haine me vient de tous les côtés, puisque la vie me hait et que la mort me menace. Mais je me tais maintenant sur ce sujet ; je ne veux pas en dire davantage parce que, d’après mes paroles et ce que j’ai indiqué, chacun peut m’avoir bien entendu. »


Tout lecteur sincère conviendra que, sans l’explication donnée par M. Rossetti, c’est-à-dire sans l’admission d’une secte et d’un langage figuré, ces vers du Bracciarone, de fort clairs qu’ils sont, deviennent un amphigouri inexplicable. Or, j’affirme sans crainte d’être contredit, qu’il y a une foule de passages, et même des volumes entiers de Dante, de Pétrarque et de Boccace, qui offrent précisément le même genre d’obscurité que les chansons de Bracciarone.

Quand bien même les efforts du nouveau commentateur ne l’auraient pas mené au véritable but qu’il se propose d’atteindre, il faut lui savoir gré de ses travaux ; car enfin, s’il n’a pas encore trouvé la véritable clé pour pénétrer dans l’intelligence des écrits italiens des xiiie et xive siècles, il a bien démontré au moins qu’il en faut une, et une seule, puisque le langage figuré, employé par les poètes et les prosateurs de cette époque, a identiquement les mêmes formes, et qu’enfin Cino da Pistoia, Guido Cavalcanti, Dante Alighieri, Cecco d’Ascoli, Petrarca et Boccacio lui-même,