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REVUE. — CHRONIQUE.

de s’exposer à de pareils dangers. Les esprits pénétrans veulent avoir trouvé d’autres motifs. M. Guizot et ses amis, qui n’aiment pas plus la liberté de la presse que ne l’aiment M. Thiers, M. Barthe et M. d’Argout, ne veulent pas cependant qu’on puisse les accuser un jour d’avoir porté les mains sur cette liberté, et ils se sont fait un devoir, dit-on, de se tenir à l’écart dans cette discussion sur la presse des rues, comme on la nomme au centre de la chambre. M. Guizot et les siens prévoient le cas où les élections pourraient amener une chambre moins facile et moins poltronne, qu’on ne mènera pas avec des contes de revenans, et l’on peut s’en fier à eux, ils ne ménageront pas alors ceux de leurs collègues dont les votes passés seront recherchés. M. Cabet ne sera pas plus impitoyable pour M. d’Argout, M. Mauguin pour M. Thiers. C’est un curieux spectacle que celui de cette royauté qui se plaît à user et à briser les hommes qui la servent, tandis que ceux-ci se dévorent entre eux. Ce spectacle n’est pas seulement curieux, il est encore consolant, et nous promet un meilleur avenir.

Violemment attaqué par M. Barthe, poursuivi jusque sur les bancs de la chambre par M. Persil qui veut à toute force le traîner devant la cour d’assises, M. Cabet s’est défendu avec beaucoup de vigueur. La franchise de sa riposte a décontenancé tous ses ennemis parlementaires ; on a vu le moment où M. d’Argout allait s’élancer de son banc pour se colleter avec le député républicain. M. d’Argout, retenu par quatre autres ministres, sans compter M. Thiers cramponné à sa poche, était beau à voir dans sa colère. M. d’Argout avait tort cependant. Chaque jour, une feuille dont M. d’Argout fait les frais (et il ne l’a pas nié), injurie M. Cabet ; M. Barthe, le collègue de M. d’Argout, M. Persil, son ami, voudraient déjà voir M. Cabet niché à la cime du mont Saint-Michel ; de la tribune où parlait M. Cabet, il pouvait entendre distinctement les ministres, sur leur banc, le comparer à Marat et à Danton. M. Cabet prit donc la liberté de reprocher à M. d’Argout d’avoir jadis brûlé le drapeau tricolore. Nous nous étonnons de la susceptibilité de M. d’Argout à ce sujet. Près de lui se trouvaient M. Guizot qui a émigré à Gand où l’on foulait aux pieds ce drapeau, M. Soult qui l’a renié un cierge à la main. Un duel avec M. Cabet n’eût pas été une bonne raison, et n’eût rien changé à cette affaire. Nous connaissons la bravoure de M. d’Argout. Nous savons que, dans le midi, il a tué en duel un grand-prévôt, qu’il a reçu lui-même, une belle nuit, sous un réverbère, un grand coup d’épée dans la poitrine ; mais, comme le lui a dit un de ses collègues de la chambre, quand on tire l’épée du portefeuille, il faut jeter le fourreau. Or M. d’Argout ayant à voter entre la satisfaction de tuer M. Cabet et celle de rester ministre, a choisi en homme d’esprit le plaisir le plus fructueux et le plus vif. Il eût été aussi trop dur de vouloir à la fois tuer M. Cabet et l’envoyer en prison.

Ce jour-là une autre scène se passait au banc des ministres. M. Barthe, qui venait de se permettre à voix basse quelques interpellations injurieuses contre M. Cabet, était violemment apostrophé par M. Beslay fils, qui lui disait que sa conduite était celle d’un lâche. Pendant ce temps, le président de la chambre des communes d’Angleterre était obligé de remettre entre les mains des sergens-d’armes le chancelier de l’Échiquier, lord Althorp, et un membre irlandais, M. Sheil, qui s’étaient livrés à de violentes personnalités. – Le jour même du duel de M. Dulong, un étudiant, du cours de M. Orfila, mourait à quelques pas du malheureux député, d’un coup de pistolet dans la poitrine ; et le lendemain, le directeur de l’Opéra échangeait, au pied de la butte Montmartre, une balle avec le gérant d’un journal littéraire. Enfin on parle d’un duel devenu