Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/482

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
470
REVUE DES DEUX MONDES.

inévitable entre un riche banquier et un homme du monde très connu, par suite d’une querelle survenue au jeu. Vous voyez que le carnaval a été très brillant cette année.

Ce qui dépasse la licence du carnaval, c’est la demande que M. de Schonen, procureur-général à la cour des comptes, et liquidateur de l’ancienne liste civile, est venu adresser, il y a deux jours, à la chambre. Cette petite requête, glissée fort innocemment, à propos d’une demande de levée de séquestre faite par les agens du duc de Bordeaux, tendait à faire passer au nombre des biens de la liste civile actuelle le château de Chambord. Et c’est un membre de la cour des comptes, un magistrat, qui vient demander la confiscation ! M. de Schonen est un familier du château, un des amis du roi, il n’a pas fait cette demande sans l’avoir soumise au maître, il n’a pas pris sur lui d’enrichir la liste civile, sans être dûment autorisé. Eh ! quoi, on a Neuilly, Raincy, Eu, le Palais-Royal, on est arrivé à posséder Chantilly ; on tient dans sa main les Tuileries, le Louvre, Versailles, Saint-Cloud, vingt autres domaines, et cette main s’ouvre encore pour saisir Chambord ; elle s’allonge pour s’emparer de Rambouillet ; elle veut hériter du duc de Bordeaux comme elle a hérité du prince de Condé, elle veut tout saisir, tout avoir. En ce moment, elle fait abattre impitoyablement les beaux arbres des avenues de Versailles ; ces chênes centenaires que Louis xiv, suivi de Lenôtre, avait fait planter sous ses yeux, Louis-Philippe, suivi de M. Fontaine, est venu les faire tomber sous la hache. Chambord a un parc de douze mille arpens où l’on espère sans doute faire aussi quelques bons abattis d’arbres, des pavillons construits par le Primatice, dont les pierres seraient d’un débit avantageux, de grandes avenues, de belles allées qui prêtaient leur ombre au maréchal de Saxe, et qu’on a jugé devoir faire belle figure dans les piles d’un chantier. Nous avons sous les yeux l’état du domaine de Chambord, et nous pouvons donner à la chambre une idée du présent, disons du vol, qu’on lui demande par l’organe du complaisant M. de Schonen. L’enceinte du parc renferme vingt-quatre fermes ; la superficie des bois est de quinze mille arpens, quarante-six mille pieds d’arbres couvraient la pépinière à l’époque de l’achat du château pour le compte des souscripteurs, et le prix de cet achat s’éleva à un million sept cent quarante-un mille six cent soixante-sept francs. Allons, un peu de complaisance, MM. les députés, donnez encore cette obole au pauvre Bélisaire !

Tandis qu’on se réjouit ici du bon accueil que l’empereur Nicolas a fait au maréchal Maison, les conventions secrètes stipulées entre la Russie et la Suède s’exécutent ; le roi Charles-Jean met les rives du Sund en état de défense, et remplit de troupes la forteresse de Karlskrona. Les journaux suédois n’ont pas pris une attitude moins hostile, et ils ne sont remplis depuis quelque temps que de déclamations en faveur de la Russie contre l’Angleterre et la France. Il est bien difficile de croire à des velléités de guerre vraiment sérieuses de la part des puissances, mais ces démonstrations prouvent du moins que toute l’humilité du gouvernement français ne les a pas désarmées.

La politique extérieure de la France n’est pas moins conduite avec habileté, et si quelque chose pouvait remplacer l’empire qu’exercent toujours dans les négociations politiques la droiture et la fermeté d’un cœur noble et haut, notre diplomatie aurait obtenu de grands résultats. Cette politique qui s’élabore uniquement dans le cabinet royal, aux Tuileries, et dans l’hôtel du prince de Talleyrand, à Londres, sans intermédiaires, sans confidens, dont les ministres n’ont pas la moindre connaissance, et qu’ils mettent en œuvre avec la docilité qu’ils exigent de leurs chefs de bureau et de leurs commis, n’est autre que la politique que faisaient éga-