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à fond les superstitions populaires allemandes. Pour le moment, je me bornerai à remarquer que des écrivains français, égarés par l’autorité de quelques Allemands, sont tombés dans une grande erreur, en admettant que, pendant le moyen-âge, les croyances populaires avaient été les mêmes dans toute l’Europe. Ce n’est que sur le bon principe, sur le royaume de Jésus-Christ que l’Europe entière nourrissait les mêmes vues ; l’église de Rome y pourvoyait, et quiconque s’éloignait de l’opinion prescrite, était un hérétique. Mais sur le mauvais principe, sur l’empire de Satan, les vues variaient selon les pays, et dans le nord on s’en faisait une autre idée que dans les contrées romantiques du sud. Cela venait de ce que les prêtres chrétiens ne rejetaient pas comme des songes vides les vieilles divinités nationales, mais qu’ils leur accordaient une existence réelle ; en assurant toutefois que les dieux étaient autant de diables et de diablesses, qui avaient perdu leur pouvoir sur les hommes par la victoire du Christ, et qui cherchaient maintenant à les attirer à eux de nouveau, par la ruse et la volupté. Tout l’olympe était devenu un enfer dans l’espace, et les poètes du moyen-âge avaient beau chanter avec grace les divinités grecques, le pieux lecteur chrétien ne voyait là que démons et revenans. Le sombre anathème des moines tomba surtout bien rudement sur la pauvre Vénus. Elle passait pour une fille de Belzébuth, et le bon chevalier Tanhauser lui dit même en face :

Ô Vénus, ma belle déesse,
Vous êtes une diablesse !

Ce Tanhauser, Vénus l’avait entraîné dans ce lieu merveilleux qu’on nommait la montagne de Vénus, où la belle déesse et ses nymphes menaient, au milieu des jeux et des danses, la vie la plus dissolue. Diane elle-même, en dépit de sa chasteté, était accusée de courir les bois dans la nuit avec ses nymphes ; de là les légendes du Féroce Chasseur et de la Chasse nocturne. Ici se montre tout-à-fait le point de vue gnostique de la détérioration des choses divines, et l’idée du christianisme germe de la manière la plus sensible dans cette transformation de l’antique culte national.

La foi nationale en Europe, mais plus au nord qu’au sud, était