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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

cherché dans les chroniques les anecdotes singulières ou les passions désordonnées qui depuis quelque temps ont alléché tant d’ambitions poétiques.

Chose étonnante dans un siècle érudit et dialectique ! si tous les livres avaient péri, il y a quinze ans, Lamartine ne serait pas moins grand. Le savoir enfoui dans nos bibliothèques n’aurait pas ajouté une corde à sa lyre. Dieu, l’homme et la nature, voilà le thème éternel qu’il recommence incessamment, qu’il interroge et qu’il explique à toute heure, qu’il décompose et qu’il varie ; c’est à cette vaste et solennelle trilogie qu’il ramène toutes ses méditations. Tantôt il demande au monde le secret des volontés divines, tantôt il essaie de résoudre l’énigme de la création par les espérances de son cœur. Ou bien, dans ses tristesses les plus hautes, quand il est las de lui-même et du monde, il s’adresse à Dieu et lui pose l’insoluble question : où va le monde ? où vont les hommes ?

Par la profondeur de ses regrets, par la sereine résignation de ses pensées, Lamartine appartient au christianisme. Par l’élan naturel et divin de son génie, par son ignorance naïve et résolue, ou plutôt par l’intuition savante et calme de sa conscience, il appartient aux premiers temps de la poésie antique.


Après lui il est un nom que l’art et la poésie chérissent presque à l’égal du sien, un nom qui se recommande à la gloire par la délicatesse patiente des inventions, par la grace exquise et harmonieuse, par la finesse déliée, par la coquetterie invitante et chaste. Vous le savez, Alfred de Vigny, dont les débuts remontent au même temps que les vôtres, a marqué sa place dans l’histoire littéraire avec un soin que nul ne peut blâmer ; si plus d’un regret se mêle à notre admiration, s’il nous est arrivé plus d’une fois de souhaiter une sœur à la divine Eloa, si dans notre pieux enthousiasme pour le poète nous l’avons gourmandé sur le chiffre avare de sa famille, qu’importe, n’est-ce pas ? Est-ce au nombre des perles qu’il faut mesurer la beauté du collier ? Le poète est jeune, il a devant lui une longue vie. Il s’est nourri de fortes études, il n’a regretté, pour assouplir sa parole et façonner sa pensée, ni les veilles, ni le courage. Il n’a pas craint le reproche adressé à l’en-