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rations importantes, la première et la troisième. Vous avez mis en lumière tout ce qu’il y a de réel, de profondément vrai dans le partage des siècles historiques.

Il se peut, mon ami, que vous préfériez à tous vos recueils lyriques celui que vous avez consacré tout entier à l’Orient. Il se peut que vous trouviez éblouissantes, entre toutes, les couleurs que vous avez dérobées à la Judée, à la Turquie, à la Perse, à l’Espagne ; et s’il ne s’agissait que de la trame étincelante de l’étoffe, je dirais comme vous. C’est à coup sûr un des poèmes les plus merveilleux pour la docile variété du rhythme, pour l’abondance inépuisable des tropes et des métaphores. C’est là que vous avez touché les dernières limites où l’art extérieur pouvait atteindre ; mais je préfère les Feuilles d’automne aux Orientales, et voici pourquoi.

En nous parlant de l’Orient, vous aviez deux partis à prendre. Ou bien vous pouviez nous le montrer au milieu des émotions qu’il produit sur un homme d’Europe ; ou bien vous pouviez vous transformer par la pensée, oublier votre patrie et vous faire l’homme du pays où vous alliez. Par un caprice très légitime, et que je ne songe pas à discuter, vous avez choisi un troisième parti. Votre fantaisie a visité l’Orient et nous est revenue pour peindre ses voyages ; elle nous a déroulé complaisamment les mille couleurs dont elle avait récréé ses yeux. Mais après l’étonnement du spectacle chacun s’est demandé quel était l’homme caché sous cet artiste prodigieux. Hafiz et Djamy vous avaient prêté leur langage embaumé, vous aviez pris dans les poèmes suspendus à la voûte de la Mecque les vives allures de l’imagination arabe ; et pourtant deux pages de Medjnoun et Leila produisent sur nous une impression plus profonde que la plus belle de vos orientales. Pourquoi cela ? C’est qu’il n’y avait en vous ni l’homme d’Orient, ni l’homme d’Europe, ni la sympathie du cœur habitué aux scènes qui sont devant lui, ni la curiosité réfléchie d’un esprit qui juge en même temps qu’il s’instruit.

Loin de conclure de ces prémisses, que je crois justes, la condamnation d’une œuvre qui déroute la critique en la dominant, je reconnais volontiers qu’il a fallu une singulière puissance de talent pour fixer l’attention paresseuse des lecteurs de France, en mettant