Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/542

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
530
REVUE DES DEUX MONDES.

Non, mon ami, je ne vous querellerai pas sur la tristesse morne et désolée de votre fable. Vous l’avez voulu, vous le pouviez.

La grace aérienne de la Esmeralda, opposée à la laideur monstrueuse de Quasimodo, est un de vos caprices, mais un caprice qui ne souffre pas de contrôle.

Pour le prêtre et le poète, je pense qu’ils n’auraient rien perdu, si l’un avait eu des sens moins grossiers, si l’autre avait eu en lui-même une dignité plus élevée, un caractère moins avili par la misère et la servilité. Mais ici encore, je le sais, vous avez une réponse toute prête. Cela est ainsi parce que je l’ai voulu.

À la bonne heure ! Mais venons à une question plus sérieuse. Dans votre pensée, au xve siècle, le peuple relevait de la volonté du juge, qui relevait du prêtre qui ne relevait que de Dieu. Est-ce bien là, mon ami, une synthèse applicable au règne de Louis xi ? Je n’ai pas dessein d’entreprendre ici l’apologie de la magistrature ou du clergé, ce n’est pas à ces considérations secondaires que je veux m’arrêter ; je me demande seulement si l’église en 1483 était souveraine, si le prêtre gouvernait, si la société était régie par une foi aveugle et soumise. Je me demande si le pouvoir théocratique, si éclatant et si fort au treizième siècle, n’était pas déchu de son ancienne splendeur, quand le cardinal de la Balue expiait sa résistance dans une cage de fer. Je me demande si Philippe de Comines pouvait vivre en même temps que saint Thomas.

Ces questions, vous le savez, ne relèvent pas de la fantaisie. C’est à l’histoire seule de les résoudre.

Or, quelle a été la pensée politique de toute la vie de Louis xi ? Abaisser la noblesse en élevant la bourgeoisie, diviser la force par la ruse, asseoir la royauté sur les ruines de la puissance féodale, appeler aux emplois les plus capables, sans acception de richesse ou de naissance, pour mater les grandes familles et ternir le lustre des grands noms, en les réduisant à l’oisiveté.

Il est donc vrai, mon ami, que le monde que vous nous avez montré n’est pas le monde du xve siècle. C’est un monde qui est à vous tout entier. Ce n’est pas le monde de l’histoire, c’est une création éclose dans votre cerveau, que votre parole a douée de vie, à qui vous avez donné le droit de cité littéraire.