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avec les esprits frivoles qui réduisent toute leur pensée aux causeries de salon et d’académie, que nous sommes arrivés maintenant à la dernière page de notre histoire littéraire ? Ceci, vous le savez, est tout au plus un paradoxe bon à distraire des femmes oisives ou des vieillards blasés ; l’agilité bruyante de la parole peut trouver dans ce thème absurde l’occasion d’un triomphe de quelques jours. Ce n’est pas ma faute vraiment, s’il se rencontre aujourd’hui quelques rhéteurs qui mettent leur gloire et leur fatuité à nier le mouvement qu’ils n’ont jamais compris, pas plus dans le passé que dans l’avenir ; héros de la périphrase et de la réticence, qui s’évertuent à sous-entendre l’idée qu’ils ne pourraient montrer, qui réservent pour une époque indéterminée la prophétie solennelle dont ils ne savent pas encore le premier mot, qui disent à l’imagination humaine de s’arrêter pour amnistier leur impuissance et leur paresse. Ce n’est pas ma faute s’ils font de leur enseignement une prouesse de baladin, s’ils chiffonnent l’histoire, qui les importune, comme une femme sa parure qu’elle voudrait changer. Ces hommes-là, vous le savez, ne sont d’aucun temps et n’appartiennent à aucune génération ; c’est un hors-d’œuvre qu’il faut tolérer, c’est un bourdonnement inutile dont il ne faut pas prendre souci. Qu’ils se taisent ou qu’ils parlent, peu importe ; leur voix n’a rien à faire dans les débats sérieux.

La poésie lyrique a maintenant épuisé l’étude et l’analyse de la vie individuelle ; elle a envisagé sous toutes ses faces le moi humain. Il me semble qu’elle a aujourd’hui une autre destinée à remplir. Sans vouloir, comme les disciples de quelques philosophies ébauchées, lui assigner un rôle direct dans le renouvellement social qui se prépare, je crois qu’elle doit se mêler plus activement qu’elle ne l’a fait jusqu’ici à la lutte des intérêts positifs et des passions publiques. Est-ce à dire que le poète lyrique sera tribun ou hiérophante ? Non, sans doute. S’il essayait d’empiéter sur la mission de l’orateur ou du philosophe, il s’y absorberait tout entier et disparaîtrait. J’entrevois seulement que l’égoïsme poétique excite de jour en jour des sympathies moins vives. C’est une belle chose, et très grande assurément, de se poser seul en face de la société, de raconter ses souffrances intérieures, ses ambitieuses espérances, de dédaigner les plaisirs vulgaires et le bruit qui se fait autour de