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REVUE. — CHRONIQUE.

traitait la chambre, imagina d’exercer le même despotisme envers les Parisiens ; et ressuscitant une vieille ordonnance du règne de Louis xvi et de la Convention, comme dans les journées de juin il avait exhumé des ordonnances de Louis xiv, le préfet de police fit intimer aux théâtres de Paris l’ordre de terminer leurs représentations à onze heures. À onze heures le rideau devait tomber et le public s’écouler, sous peine d’amende, de prison pour les directeurs, et ce qui va sans dire, de violences de la part des agens de M. Gisquet. M. Gisquet trouvait tout naturel de sonner le couvre-feu pour les Parisiens, à l’heure où ils se retiraient autrefois, lorsque les théâtres commençaient à quatre heures du soir, ou comme en 1791, quand la ville de Paris était journellement le théâtre de combats sanglans. M. Gisquet donnait pour motif l’excès de fatigue que la longueur des spectacles cause à ses agens, et la nécessité de leur assurer des nuits tranquilles. Les motifs et les conclusions de M. Gisquet lui ont attiré de vives et amères censures. Les hommes de loisir et de liesse qui applaudissent à tous les empiètemens du pouvoir, à toutes les violences et à toutes les vexations de la police, se sentant cette fois atteints, ont jeté de grands cris d’alarme. Toucher à leurs plaisirs, vouloir restreindre leurs jouissances, diminuer leurs belles et joyeuses veillées, c’était un crime, une tyrannie qu’on ne pouvait tolérer, et qu’il fallait dénoncer à la nation. Ceux qui avaient défendu l’état de siège criaient à l’arbitraire, ceux qui se frottaient les mains en apprenant les exploits des assommeurs, juraient, les larmes aux yeux, que la cité était en péril. Le Journal des Débats, qui, depuis un grand mois, ne cesse de déclamer contre la liberté de la presse, défendit avec une violence inouie la liberté de rester la nuit hors de chez soi. Le maréchal de Richelieu et les grands seigneurs de la vieille cour ne traitaient pas avec plus de hauteur le lieutenant de police. C’est avec le plus profond dédain que le Journal des Débats déclara à M. Gisquet que son ordonnance était inexécutable, et en effet, M. Gisquet fut obligé de se justifier le lendemain. On le manda devant les puissances, et on lui prescrivit de se tenir désormais entre d’honnêtes limites, et surtout de ne pas s’attaquer aux plaisirs du juste-milieu. On lui laisse d’ailleurs d’amples compensations. On lui abandonne les crieurs, les associations, les fêtes du faubourg Saint Germain, les chahuts de la courtille ; on le laisse faire à son gré des arrestations, des émeutes, des visites domiciliaires. C’est une assez belle part, il pourra s’en contenter.

Les remontrances du Journal des Débats et de ses puissans amis ne sont pas les seuls désagrémens que l’ordonnance de M. Gisquet lui a fait essuyer. Le Courrier Francais le prenant à corps, avec sa verve et sa franchise ordinaires, avait dit comme l’a répété depuis à la tribune M.  Glais-