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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

seiller d’état danois, a publié, il y a peu d’années en Allemagne, des documens curieux qu’on ne peut lire sans faire de tristes réflexions sur la destinée de ce pauvre grand homme. Ce recueil renferme toute la longue correspondance de Mozart avec sa famille pendant les fréquens voyages qu’il faisait en France, en Italie et dans les différentes parties de l’Allemagne qu’il parcourut du nord au midi, d’abord enfant, avec son père, montré partout comme un prodige et jouant du piano chez les grands seigneurs pour un mince salaire ; puis, jeune homme, adolescent aux pensées fortes, se sentant déjà brûler au front par les idées sublimes qui fermentaient dans sa tête, frappant en vain à toutes les portes, et quêtant inutilement un protecteur assez généreux pour donner du travail à ce génie qui voyait avec douleur que, faute d’un peu de pain, il allait manquer à la gloire dont les premières lueurs avaient déjà brillé pour lui. Ces lettres sont admirables par leur simplicité et la constance que montre Mozart dans toutes ses traverses. Enfant, tout lui sourit d’abord. Traîné dans les salons de Vienne par son père, bon père, honnête musicien, mais homme avide et de pensées étroites, Mozart ne sent pas toute la bassesse de sa condition. On l’introduit, en habit brodé, dans les salons de l’impératrice. L’empereur François Ier le prend sur ses genoux, des princes et des princesses l’admirent. L’enfant fait-il un faux pas sur le parquet glissant, une jeune dame quitte aussitôt son siége et le relève avec bonté. – « Vous êtes bien belle, lui dit le petit Wolfgang, et je veux vous épouser. » Hélas ! elle n’était pas destinée à un sort aussi doux, la pauvre fille ! Cette femme que l’enfant se choisissait avec tant d’ingénuité, c’était l’archiduchesse Marie-Antoinette, la future reine de France, qui périssait sur l’échafaud le jour où Mozart, l’humble musicien, était couronné publiquement et salué par les vivat de la population de Vienne.

C’est dans les lettres du père de Mozart qu’on découvre l’humiliante condition de ses premières années. « Aujourd’hui, écrit-il avec joie à sa femme, nous avons été chez l’ambassadeur de France, et demain nous irons chez le comte Harrach. De six à neuf heures, nous sommes commandés pour six ducats dans une grande assemblée. On nous commande quatre, cinq, six, jusqu’à huit jours d’avance. Voulez-vous savoir comment est l’habillement de Wolfgang ?