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prix obtenait-il l’attention qu’on lui prêtait ! Selon le protocole hautain du cérémonial allemand, on ne lui parlait jamais qu’en s’adressant à la troisième personne. Un pauvre musicien, un peintre, un homme qui n’avait que son génie pour patrimoine était trop peu de chose pour qu’on daignât l’interpeller directement. En Angleterre, quand vous demandez qui sont ces gens-là, on vous répond avec franchise : No body ; « ce n’est personne. » L’Allemagne les traite mieux, comme on voit. Elle admet qu’ils existent, mais en qualité d’ombres seulement, d’esprits qu’ils sont ; elle leur parle à eux-mêmes d’eux-mêmes, comme d’êtres morts ou absens ; et Mozart eut souvent la satisfaction de s’entendre dire par l’empereur Joseph : « Il a composé un bel opéra, un vrai chef-d’œuvre ; nous lui accordons une gratification de cinquante ducats. » On voit que la récompense était proportionnée aux honneurs, les honneurs au mérite.

Autrefois, quand Mozart n’était encore qu’un enfant, on voulait bien oublier avec lui les obligations de l’étiquette, mais alors il devait se regarder comme suffisamment payé de ses peines. La princesse Amélie, sœur du roi de Prusse, bonne et charmante princesse, le combla de caresses à Aix-la-Chapelle. « Mais, hélas ! écrivait le vieux père, homme sage, qui pesait attentivement la valeur de toutes choses, hélas ! elle n’a pas d’argent, et si les baisers qu’elle a donnés à mon petit Wolfgang étaient autant de louis d’or ; nous pourrions être contens. Encore ! ajoute le bonhomme en poussant un nouveau soupir, si les hôteliers et les postillons voulaient se contenter de baisers pour leur paiement, nous pourrions nous tirer d’affaire, car c’est la seule chose qui ne nous manque pas. » Plus tard, quand les baisers eussent tiré à conséquence, Mozart obtint de ses protecteurs un salaire un peu plus solide. L’archevêque de Saltzbourg, son maître, se montra même magnifique envers lui. Idoménée, la Clémence de Titus, l’Enlèvement au sérail, trois opéras qui furent les premiers échelons de gloire pour Mozart, le firent admettre à la table des laquais chez le prélat, et lui valurent de sa part une nomination à l’emploi de valet de chambre !

Cette époque de la vie de Mozart est affreuse. Il avait déjà rempli le monde du bruit de son nom ; partout la voix publique avait reconnu l’immensité de son talent. Dix années de son existence,