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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

plus possible ; c’est une hallucination maladive qu’il faut aller chercher dans les livres des encyclopédistes. Personne ne croit plus que la flûte ou le violon doivent chercher à modeler leur expression sur Virgile et Euripide, et cependant le xviiie siècle n’allait pas à moins. Il n’y a pas cinquante ans, on rencontrait dans les salons de Paris des gens fort graves qui s’extasiaient à loisir sur un récitatif ou un grand air où ils trouvaient notées et scandées toutes les arguties amoureuses de Marivaux et de Dorat. À cette époque, l’expression musicale était d’autant plus savante qu’elle était plus complexe. On s’inquiétait moins de la vérité que du détail. On n’aimait pas la musique pour elle-même, on l’estimait d’après sa parenté avec la poésie. Mais cette alliance violente était un mensonge ; la poésie et la musique se paralysaient en s’étreignant. Nous le savons aujourd’hui, et cette lutte désastreuse de la forme poétique et de la forme musicale aurait grand’peine à recommencer.

Mais la musique dramatique, qui, loin de se prendre à la poésie et de lui servir d’organe et d’accompagnement, se propose pour modèle et pour but, comme terme dernier de ses efforts et de sa puissance, les masses instrumentales de la symphonie, moins l’unité progressive et logique, mérite-t-elle vraiment le nom de musique dramatique ? Une symphonie, découpée en chœurs, en trios, en cavatines, peut-elle devenir un opéra ? Les parties de hautbois ou de clarinette, exécutées par le gosier humain, peuvent-elles servir à la construction d’un drame musical ? Ces questions, qui sembleront oiseuses au plus grand nombre, ont pourtant une réelle importance.

Si la symphonie, comme je n’en doute pas, est de toutes les formes musicales la plus exquise, la plus achevée, la plus puissante, est-ce à dire que les lois de la composition symphonique sont identiquement les mêmes que celles de la musique dramatique ? En admettant, comme j’incline à le faire, que la forme dramatique ne soit qu’une forme secondaire dans la musique, en faudra-t-il conclure que le drame musical n’ait pas à remplir de conditions individuelles et propres ? Si ce dernier problème n’est pas encore résolu aussi nettement que celui de la musique déclamée, si l’opinion populaire ne s’est pas encore prononcée, au moins est-il permis de la pressentir en consultant les esprits éclairés et