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On le voit, le libretto de Don Giovanni offre au musicien un sujet riche et varié. La diversité des passions, les péripéties qu’elle enfante, les personnalités distinctes qu’elle crée, offrent à l’invention une matière abondante. En même temps, les épisodes de l’action, en groupant à de certains momens la masse des acteurs, permettent à l’harmonie de déployer toutes ses ressources. Or, à l’époque où Mozart vivait, il avait devant lui deux routes, il se trouvait placé entre l’impression ineffaçable des premières études de son enfance et les impressions non moins vives qu’il avait rapportées de ses voyages d’Italie. La lecture et la pratique assidue des chefs-d’œuvre de Sébastien Bach et de Haydn lui inspiraient naturellement une prédilection marquée pour les maîtres de l’Allemagne ; mais cette prédilection devait être ébranlée par les ravissantes mélodies qu’il avait entendues à Rome, à Naples et à Milan. Dans les ouvrages d’imagination, je ne suis pas grand partisan des méthodes conciliatoires ; je ne puis que sourire de pitié quand j’entends regretter sérieusement que Pascal n’ait pas écrit les Mémoires du Coadjuteur, Racine les comédies de Molière, ou que la couleur éclatante de Rubens n’ait pas été distribuée sur les contours divins de Raphaël. Il faut laisser ces empathiques niaiseries aux salons oisifs et aux académies caduques. Je n’ai pas une haute estime pour les dessins, très habiles d’ailleurs, où Ligorio essayait de tempérer la fantaisie inventive de Brunelleschi par la sévérité des monumens antiques. Et lorsque, de nos jours, on a fait grand bruit d’une prétendue fusion entre l’harmonie allemande et la mélodie italienne ; lorsque, renchérissant sur ce nouveau miracle, on a voulu trouver dans une partition le génie de deux nations corrigé par la sagacité d’une troisième ; lorsque, pour élever une statue au nouvel artiste, dont personne plus que moi n’admire la persévérance et l’heureuse industrie, on a voulu reconnaître dans ses inspirations des idées écloses dans trois patries diverses, je n’ai vu, dans cette exagération, qu’un aveuglement inexcusable. Je ne crois pas à l’existence de ces génies hybrides. Si l’on venait me dire qu’un statuaire a trouvé moyen d’allier les lignes savantes et pures du Laocoon, la grace harmonieuse de Ghiberti avec la musculature accentuée du Milon, je n’accueillerais cet évangile que par l’incrédulité.