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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

pidité dans l’émotion, cette sobriété dans la parole, ces nuances adoucies et reposées, en disparaissant presque partout de la vie actuelle et des œuvres d’imagination qui s’y produisent, deviennent d’autant plus précieuses là où on les rencontre en arrière, et dans les ouvrages aimables qui en sont les derniers reflets. On aurait tort de croire qu’il y a faiblesse et perte d’esprit à regretter ces agrémens envolés, ces fleurs qui n’ont pu naître, ce semble, qu’à l’extrême saison d’une société aujourd’hui détruite. Les peintures nuancées dont nous parlons supposent un goût et une culture d’ame que la civilisation démocratique n’aurait pas abolis sans inconvénient pour elle-même, s’il ne devait renaître dans les mœurs nouvelles quelque chose d’analogue un jour. La société moderne, lorsqu’elle sera un peu mieux assise et débrouillée, devra avoir aussi son calme, ses coins de fraîcheur et de mystère, ses abris propices aux sentimens perfectionnés, quelques forêts un peu antiques, quelques sources ignorées encore. Elle permettra, dans son cadre en apparence uniforme, mille distinctions de pensées et bien des formes rares d’existences intérieures ; sans quoi elle serait sur un point très au-dessous de la civilisation précédente et ne satisferait que médiocrement toute une famille d’ames. Dans les momens de marche ou d’installation incohérente et confuse, comme le sont les temps présens, il est simple qu’on aille au plus important, qu’on s’occupe du gros de la manœuvre, et que de toutes parts, même en littérature, ce soit l’habitude de frapper fort, de viser haut et de s’écrier par des trompettes ou des porte-voix. Les graces discrètes reviendront peut-être à la longue et avec une physionomie qui sera appropriée à leurs nouveaux alentours ; je le veux croire ; mais tout en espérant au mieux, ce ne sera pas demain sans doute que se recomposeront leurs sentimens et leur langage. En attendant, l’on sent ce qui manque, et parfois l’on en souffre ; on se reprend, dans certaines heures d’ennui, à quelques parfums du passé, d’un passé d’hier encore, mais qui ne se retrouvera plus ; et voilà comment je me suis remis l’autre matinée à relire Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange, et pourquoi j’en parle aujourd’hui.

Une jeune fille qui sort pour la première fois du couvent où elle a passé toute son enfance, un beau lord élégant et sentimental,