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REVUE DE VOYAGES.

systèmes proposés jusqu’à ce jour, quelle que soit la forme sous laquelle ils se déguisent, se réduisent, au fond, à deux : l’un, qui renferme une violence plus ou moins couverte, et que l’auteur d’un des derniers écrits sur Alger[1] a appelé énergiquement système d’extermination ; l’autre, qui veut procéder par la douceur et qui propose, comme modèle à suivre, la conduite de l’Angleterre aux Indes orientales.

Les partisans du premier, qui sont en majorité, et qui dominent, à ce que nous croyons, sur les lieux, considèrent la Régence comme une table rase ; ses habitans sont à peu près à leurs yeux ce qu’étaient à ceux des Espagnols les peuplades indiennes qui erraient dans les forêts de l’Amérique, et que le premier venu pouvait chasser de leur patrie en y plantant une croix. Renouveler en masse la population du pays en y transportant des Européens, répartir les terres entre ces derniers de manière à en faire en quelque sorte une province de la France, tel est le but qu’ils se proposent, et que les plus sincères d’entre eux avouent hautement avec toutes ses conséquences. Tous néanmoins n’en sont pas là : ceux moins francs, ou qui ont reçu cette faculté si commune de franchir, les yeux fermés, l’intervalle qui sépare une idée de sa réalisation, se déguisent à eux-mêmes les moyens qu’il faudrait employer pour atteindre le but qu’ils désirent, sans songer que l’inévitable logique des évènemens les amènerait bientôt au même point que les premiers. Au nombre des hommes dont nous parlons, nous paraît être M. Rozet, sur l’humanité et les bonnes intentions duquel nous n’entretenons aucun doute, mais qui outragerait singulièrement la première si son plan de colonisation était suivi. M. Rozet regarde comme impossible de jamais civiliser les Berbères ; il dit même positivement, en parlant de quelques tribus, qu’on pourrait bien être obligé de les exterminer ; il n’a pas meilleure opinion des Maures, des Arabes et des Koulouglis ; des Juifs, on ne peut guère en tenir compte ; restent donc les Nègres, qui ne sont bons à rien, et les Turcs, qui composent la partie la plus minime de la population. De cette impossibilité de civiliser la presque totalité des habitans on

  1. Alger sous la domination française, son état présent et son avenir, par M. le baron Pichon, conseiller d’état, etc.