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peut déjà tirer une conclusion toute naturelle. Voici maintenant en substance comment M. Rozet veut qu’on procède pour se rendre maître du pays.

Aujourd’hui le rayon du terrain que nous occupons autour d’Alger n’a pas trois lieues de longueur, et il est encore moindre sur les trois ou quatre autres points de la côte où nous avons garnison. Jusqu’à présent, on s’est trop hâté de s’avancer dans l’intérieur, lorsque, par exemple, on a poussé jusqu’à Medeyah, ou que l’on a établi à quelques lieues d’Alger une ferme modèle, exposée aux attaques continuelles de l’ennemi. Dans l’un et l’autre cas, nous avons échoué et perdu beaucoup de monde. Au lieu d’agir ainsi, M. Rozet voudrait que l’on commençât par s’emparer de tous les lieux de la côte capables de recevoir une garnison de deux mille hommes, et qu’on créât autour de chacun d’eux des cercles de colonisation protégés par des redoutes, dans lesquels on installerait au fur et à mesure des colons européens. Dans le principe, ces cercles ne pourraient communiquer les uns avec les autres que par mer ; mais, en s’agrandissant, ils finiraient par se joindre, et, après un certain nombre d’années, on aurait une grande bande colonisée qui s’étendrait le long de la côte et qui s’avancerait insensiblement vers l’intérieur. Aujourd’hui notre armée nous coûte vingt millions par an ; le projet de M. Rozet en coûterait, selon lui, soixante, plus six mille hommes tombés sous les coups de l’ennemi ou morts de maladie ; en dix ans, temps nécessaire pour l’exécution de ce plan, six cents millions et soixante mille hommes. M. Rozet pense qu’à la rigueur la France pourrait à elle seule faire cette dépense, mais que vu qu’il est de l’honneur et de l’intérêt de toutes les nations de l’Europe d’arracher l’Afrique à sa longue barbarie, toutes devraient concourir à cette œuvre généreuse et envoyer sur les lieux des colons sur lesquels la France aurait la haute-main. Le but atteint, on se partagerait à l’amiable le pays, et chaque puissance en recevrait une part proportionnelle à sa mise en hommes et en argent. L’abbé de Saint-Pierre n’eût pas trouvé mieux.

Nulle part dans ce projet il n’est parlé d’extermination ; mais il ne faut pas un coup d’œil bien perçant pour voir qu’elle en ressort d’une manière fatale. Les terrains compris dans les cercles de co-