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LEONE LEONI.

aux siennes. Leoni la promenait sans cesse de ville en ville ; je la fais voyager depuis deux ans sans m’attacher à aucun lieu et sans tarder un instant à quitter l’endroit où je vois la moindre trace d’ennui sur son visage. Cependant elle est triste, cela est certain, rien ne l’amuse, et c’est par dévouement qu’elle daigne quelquefois sourire ; rien de ce qui plaît aux femmes n’a d’empire sur cette douleur ; c’est un rocher que rien n’ébranle, un diamant que rien ne ternit. Pauvre Juliette ! quelle vigueur dans ta faiblesse ! quelle résistance désespérante dans ton inertie ! Insensiblement je m’étais laissé aller à exprimer tout haut mes anxiétés. Juliette s’était soulevée sur un bras, et, penchée en avant sur les coussins, elle m’écoutait tristement.

— Écoute, lui dis-je en m’approchant d’elle, j’imagine une nouvelle cause à ton mal. Je l’ai trop comprimé, tu l’as trop refoulé dans ton cœur ; j’ai craint lâchement de voir cette plaie dont l’aspect me déchirait, et toi, par générosité, tu me l’as cachée. Ainsi négligée et abandonnée, ta blessure s’est envenimée tous les jours, quand tous les jours j’aurais dû la soigner et l’adoucir. J’ai eu tort, Juliette, il faut montrer ta douleur, il faut la répandre dans mon sein ; il faut me parler de tes maux passés, me raconter ta vie à chaque instant, me nommer mon ennemi ; oui, il le faut. Tout-à l’heure tu as dit un mot que je n’oublierai pas, tu m’as conjuré de te faire au moins entendre son nom. Eh bien ! prononçons-le ensemble ce nom maudit qui te brûle la langue et le cœur. Parlons de Leoni. — Les yeux de Juliette brillèrent d’un éclat involontaire ; je me sentis oppressé, mais je vainquis ma souffrance, et je lui demandai si elle approuvait mon projet.

— Oui, me dit-elle d’un air sérieux, je crois que tu as raison. Vois-tu, j’ai souvent la poitrine pleine de sanglots ; la crainte de t’affliger m’empêche de les répandre, et j’amasse dans mon sein des trésors de douleur. Si j’osais m’épancher devant toi, je crois que je souffrirais moins ; mon mal est comme un parfum qui se garde éternellement dans un vase fermé ; qu’on ouvre le vase, et le parfum s’échappe bien vite. Si je pouvais parler sans cesse de Leoni, te raconter les moindres circonstances de notre amour, je me remettrais à la fois sous les yeux le bien et le mal qu’il m’a fait, tandis que ton aversion me semble souvent injuste, et que dans le secret