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LEONE LEONI.

ques pas de nous une personne dont l’aspect me fut désagréable à moi-même ; c’était un jeune homme, nommé Henryet, qui m’avait demandée en mariage l’année précédente. Quoiqu’il fût riche et d’une famille honnête, ma mère ne l’avait pas trouvé digne de moi et l’avait éloigné en alléguant mon extrême jeunesse. Mais au commencement de l’année suivante il avait renouvelé sa demande avec insistance, et le bruit avait couru dans la ville qu’il était éperduement amoureux de moi ; je n’avais pas daigné m’en apercevoir, et ma mère, qui le trouvait trop simple et trop bourgeois, s’était débarrassée de ses poursuites un peu brusquement. Il en avait témoigné plus de chagrin que de dépit, et il était parti immédiatement pour Paris. Depuis ce temps, ma tante et mes jeunes amies m’avaient fait quelques reproches de mon indifférence envers lui. C’était, disaient-elles, un excellent jeune homme, d’une instruction solide et d’un caractère noble ; ces reproches m’avaient causé de l’ennui. Son apparition inattendue au milieu du bonheur que je goûtais auprès de Leoni me fut déplaisante et me fit l’effet d’un reproche nouveau : je détournai la tête et feignis de ne l’avoir pas vu ; mais le singulier regard qu’il lança à Leoni ne put m’échapper. Leoni saisit vivement mon bras, et m’engagea à venir prendre une glace dans la salle voisine. Il ajouta que la chaleur l’incommodait et lui donnait mal aux nerfs. Je le crus et je pensai que le regard d’Henryet n’était que l’expression de la jalousie. Nous passâmes dans la galerie, il y avait peu de monde, j’y fus quelque temps appuyée sur le bras de Leoni. Il était agité et préoccupé, j’en montrai de l’inquiétude, et il me répondit que cela n’en valait pas la peine, qu’il était seulement un peu souffrant.

Il commençait à se remettre, lorsque je m’aperçus qu’Henryet nous suivait ; je ne pus m’empêcher d’en témoigner mon impatience.

— En vérité cet homme nous suit comme un remords, dis-je tout bas à Leoni ; est-ce bien un homme ? Je le prendrais presque pour une ame en peine qui revient de l’autre monde.

— Quel homme ? répondit Leoni en tressaillant, comment l’appelez-vous, où est-il, que nous veut-il ? Est-ce que vous le connaissez ?

— Je lui appris en peu de mots ce qui était arrivé, et le priai de n’avoir pas l’air de remarquer le ridicule manège d’Henryet. Mais Leoni ne me répondit pas ; seulement je sentis sa main qui tenait la