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LEONE LEONI.

cimes éthérées et de venir respirer un air moins pur dans les villes. Acceptons cette nécessité et croyons qu’elle nous est bonne. Quand le beau temps reviendra, nous retournerons à nos montagnes, nous serons avides de retrouver tous les biens dont nous aurons été sevrés ici ; nous sentirons mieux le prix de notre calme intimité, et cette saison d’amour et de délices, que les souffrances de l’hiver nous eussent gâtée, reviendra plus belle encore que la saison dernière.

— Oh oui ! lui disais-je en l’embrassant, nous retournerons en Suisse ! Oh ! que tu es bon de le vouloir et de me le promettre !… Mais, dis-moi, Leoni, ne pourrions-nous vivre ici plus simplement et plus ensemble ? Nous ne nous voyons plus qu’à travers d’un nuage de punch, nous ne nous parlons plus qu’au milieu des chants et des rires. Pourquoi avons-nous tant d’amis, ne nous suffirions-nous pas bien l’un à l’autre ?

— Ma Juliette, répondait-il, les anges sont des enfans, et vous êtes l’un et l’autre. Vous ne savez pas que l’amour est l’emploi des plus nobles facultés de l’ame, et qu’on doit ménager ces facultés comme la prunelle de ses yeux. Vous ne savez pas, petite fille, ce que c’est que votre propre cœur : bonne, sensible et confiante, vous croyez que c’est un foyer éternel d’amour ; mais le soleil lui-même n’est pas éternel. Tu ne sais pas que l’ame se fatigue comme le corps, et qu’il faut la soigner de même ? Laisse-moi faire, Juliette, laisse-moi entretenir le feu sacré dans ton cœur : j’ai intérêt à me conserver ton amour, à t’empêcher de le dépenser trop vite. Toutes les femmes sont comme toi, elles se pressent tant d’aimer que tout à coup elles n’aiment plus sans savoir pourquoi.

— Méchant ! lui disais-je, sont-ce là les choses que tu me disais le soir sur la montagne ? Me priais-tu de ne pas trop t’aimer, croyais-tu que j’étais capable de m’en lasser ?

— Non, mon ange, répondait Leoni en baisant mes mains, et je ne le crois pas non plus à présent. Mais écoute mon expérience, les choses extérieures ont sur nos sentimens les plus intimes une influence contre laquelle les ames les plus fortes luttent en vain. Dans notre vallée, entourés d’air pur, de parfums et de mélodies naturels, nous pouvions et nous devions être tout amour, tout poésie, tout enthousiasme ; mais souviens-toi qu’encore là je le