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LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE MÊLÉES.

ser est à Shakspeare, ce que Paul Courrier est à Benjamin Constant ; Rabelais s’était fait une langue à son usage qui ne relevait guère que de sa prodigieuse érudition et de son inépuisable fantaisie. Ce serait mal connaître l’histoire littéraire du xvie siècle que de chercher ailleurs que dans les joyeuses inventions du curé de Meudon les racines et les étymologies de Pantagruel et de Gargantua.

Chemin faisant, il arrive à M. Hugo d’emprunter des images et des similitudes à toutes les formes de l’art, à tous les ordres de la science. Je ne blâme pas cette manière d’agrandir la pensée en la métamorphosant ; non. Réalisée dans de certaines limites, cette méthode a des avantages incontestables. Tant qu’elle ne franchit pas le domaine des idées générales, elle peut être d’un utile secours. Lorsqu’elle touche aux parties intimes et techniques d’un art ou d’une science, elle a deux écueils à éviter : si l’écrivain possède une science vraie et profonde, il peut obscurcir sa pensée par les caprices de son érudition au lieu de l’éclairer. S’il n’a pas un savoir encyclopédique, il risque de faire des comparaisons fausses. Ce danger très sérieux, M. Hugo ne l’a pas évité. Il compare le style frelaté au vin de Champagne de cabaret, et pour donner à cette similitude un caractère plus frappant et plus net, il essaie d’expliquer la fabrication du vin frelaté. Comme les connaissances chimiques sont aujourd’hui populaires parmi la jeunesse, il ne fallait pas parler légèrement d’une chose aussi facile à vérifier ; il fallait y regarder à deux fois avant de dire que l’acide tartrique et le bicarbonate de soude mêlés au premier vin venu donnent du vin de Champagne. Il n’y a pas un commis voyageur qui ne sache très bien que ce mélange donne de la limonade gazeuse. Il n’y a certes aucun mérite à connaître ces détails, mais il y aurait quelque mérite à n’en pas parler quand on les ignore. C’est une chicane secondaire, je le veux bien. Mais cette chicane, en se multipliant dans plusieurs ordres de science, acquiert une valeur fâcheuse. Or, celle que je fais ici n’est pas la seule que je pourrais faire.

Je dois aussi reprocher à M. Hugo d’avoir parlé des variations et des transformations de la langue, sans essayer d’interpréter de siècle en siècle les révolutions de l’idiome par les révolutions nationales. Si l’on excepte ce qu’il dit de l’époque de la renaissance,