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LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE MÊLÉES.

pas pris le temps de les acquérir. Seulement je regrette qu’il ait pu croire un instant, même à ses débuts littéraires, que le génie poétique n’a pas besoin d’études pour parler des choses et des hommes qu’il ignore.

Ce que le poète a écrit sur Voltaire se retrouve partout ; c’est une amplification de rhétorique qui ne méritait pas les honneurs de la réimpression. Les remarques littéraires, en ce qui concerne le théâtre, ne manquent pas de justesse ; mais toute la partie historique et philosophique est vague, commune, insuffisante, et ne témoigne pas d’une réflexion assez mûre et assez lente. Quant à la partie politique, ce n’est qu’une déclamation de séminaire, réfutée surabondamment par l’étude de l’histoire : il n’y a plus aujourd’hui que les nourrices et les curés de campagne qui attribuent la révolution française à l’auteur de Candide. Comme l’a dit fort spirituellement M. de Barante, il y a quelqu’un en France qui a plus d’esprit que Voltaire ; c’est tout le monde. Ce n’est pas avec un pamphlet qu’on renverse une monarchie de quatorze siècles ; Voltaire n’a fait que populariser sous une forme vive et habile les idées générales qui dominaient son temps. Mais, tout en tenant compte de la prodigieuse influence qu’il a exercée sur son siècle, il ne faut pas oublier les premiers actes du drame historique à l’achèvement duquel il a si puissamment contribué. Fénelon, blâmant la monarchie de Louis xiv sous le voile ingénieux de la fiction érudite, n’était pas moins hardi pour son temps que Voltaire pour le sien. Passerat et d’Aubigné avaient précédé Fénelon et Voltaire dans la satire politique. L’auteur de Candide a beaucoup fait sans doute, mais sans le secours de ses devanciers, sa main toute puissante n’aurait pas ébranlé les murs de la Bastille. De Louis xi au duc de Guise, de la Ligue à Richelieu, de Richelieu à la Fronde, et de la Fronde aux états-généraux, la progression est logique, irrésistible ; Voltaire concluait sur les prémisses posées trois siècles avant lui. Cette remarque est toute simple, et ne vaut pas la peine qu’on y insiste. Je ne dis pas qu’elle se présente naturellement aux portes du collége ; mais il ne faut pas généraliser l’histoire avant de l’avoir étudiée, et je n’aurais pas songé à blâmer le jeune écrivain de s’en tenir à la critique littéraire, puisqu’il ne pouvait embrasser d’un regard l’horizon entier de la question.