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Survint une bise aride et glacée, et la terre se dessécha. Le ciel en eut pitié, il lui rendit ses tièdes rosées ; puis la bise souffla de nouveau. Cette alternative de doute et de foi a fait long-temps de ma vie un mélange de désespoir et d’ineffables délices. » Voilà en ces deux mots l’histoire religieuse d’une ame qui est le type complet de beaucoup d’ames venues depuis. Quand M. de Chateaubriand ne confesserait pas cette lutte dans ses Mémoires, on en retrouverait l’empreinte continuelle dans sa vie, et elle y répand une teinte de mélancolie et de mystère qui en achève la poétique beauté.

Mais quoique la destinée de M. de Chateaubriand, depuis l’année où elle apparaît avec le siècle sur l’horizon, se manifeste, s’explique et resplendisse d’elle-même suffisamment, il y a bien des endroits inégaux, des transitions qui manquent, des effets dont les causes se doivent rechercher, il y a surtout avant cette gloire publique, avant ce rôle d’apologiste religieux, de publiciste bourbonien, de poète qui a chanté sa tristesse et qui s’est revêtu devant tous de sa rêverie ; il y a, avant cela, trente longues années d’études, de travaux, de secrètes douleurs, de voyages et de misères ; trente années essentielles et formatrices, dont les trente suivantes ne sont que le développement ostensible et la conséquence, j’oserai dire, facile. Or, comment ignorer cette première et féconde moitié d’une belle vie ? On veut tout savoir sur le point de départ des grandes ames avant-courrières. M. de Chateaubriand avait déjà parlé dans des notes, dans des préfaces, çà et là, de cette époque antérieure ; mais les détails épars ne se liaient pas et laissaient champ aux incertitudes. Un livre, par lui publié à Londres en 1797, l’Essai sur les Révolutions, était la source la plus abondante et la plus native où l’on pût étudier cette jeunesse confuse. En lisant l’Essai, on y voit quelles connaissances nombreuses, indigestes, avait su amasser le jeune émigré ; quelle curiosité érudite et historique le poussait à la fois sur tous les sujets qu’il a repris dans la suite ; quelle préoccupation littéraire était la sienne ; quel respect pour tout ce qui avait nom d’homme de lettres, pour Flins, par exemple, qu’il cite entre Simonide et Sanchoniaton. On y voit une haute indifférence politique, un bien ferme coup-d’œil sur des ruines fumantes, une appréciation chaleureuse,