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POÈTES FRANCAIS.

grandis sont hors de page ; les princes en ont eu la garde-noble ; aujourd’hui les nations arrivées à leur majorité prétendent n’avoir plus besoin de tuteurs. Depuis David jusqu’à notre temps, les rois ont été appelés ; les nations semblent l’être à leur tour. Les courtes et petites exceptions des républiques grecque, carthaginoise, romaine, n’altèrent pas le fait politique général de l’antiquité, à savoir l’état monarchique normal de la société sur le globe. Maintenant la société entière quitte la monarchie, du moins la monarchie telle qu’on l’a connue jusqu’ici.

« Les symptômes de la transformation sociale abondent. En vain on s’efforce de reconstituer un parti pour le gouvernement absolu d’un seul : les principes élémentaires de ce gouvernement ne se retrouvent point ; les hommes sont aussi changés que les principes. Bien que les faits aient quelquefois l’air de se combattre, ils n’en concourent pas moins au même résultat, comme, dans une machine, des roues qui tournent en sens opposé, produisent une action commune.

« Les souverains se soumettant graduellement à des libertés nécessaires, se séparant sans violence et sans secousse de leur piédestal, pouvaient transmettre à leurs fils, dans une période plus ou moins étendue, leur sceptre héréditaire réduit à des proportions mesurées par la loi. La France eût mieux agi pour son bonheur et son indépendance, en gardant un enfant qui n’aurait pu faire des journées de juillet une honteuse déception ; mais personne n’a compris l’évènement. Les rois s’entêtent à garder ce qu’ils ne sauraient retenir ; au lieu de descendre doucement sur le plan incliné, ils s’exposent à tomber dans le gouffre ; au lieu de mourir de sa belle mort pleine d’honneurs et de jours, la monarchie court risque d’être écorchée vive : un tragique mausolée ne renferme à Venise que la peau d’un illustre général.

« Les pays les moins préparés aux institutions libérales, tels que le Portugal et l’Espagne, sont poussés à des mouvemens constitutionnels. Dans ces pays, les idées dépassent les hommes. La France et l’Angleterre, comme deux énormes béliers, frappent à coups redoublés les remparts croulans de l’ancienne société. Les doctrines les plus hardies sur la propriété, l’égalité, la liberté, sont proclamées soir et matin à la face des monarques qui trem-