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POÈTES FRANCAIS.

société a procédé par agrégation et par famille ; quel aspect offrira-t-elle lorsqu’elle ne sera plus qu’individuelle, comme elle tend à le devenir, comme on la voit déjà se former aux États-Unis ? vraisemblablement l’espèce humaine s’agrandira, mais il est à craindre que l’homme ne diminue, que quelques facultés éminentes du génie ne se perdent, que l’imagination, la poésie, les arts, ne meurent dans les trous d’une société-ruche, où chaque individu ne sera plus qu’une abeille, une roue dans une machine, un atome dans la matière organisée. Si la religion chrétienne s’éteignait, on arriverait par la liberté à la pétrification sociale où la Chine est arrivée par l’esclavage.

« La société moderne a mis dix siècles à se composer ; maintenant elle se décompose. Les générations du moyen-âge étaient vigoureuses, parce qu’elles étaient dans la progression ascendante ; nous, nous sommes débiles parce que nous sommes dans la progression descendante. Ce monde décroissant ne reprendra de force que quand il aura atteint le dernier degré, d’où il commencera à remonter vers une nouvelle vie. Je vois bien une population qui s’agite, qui proclame sa puissance, qui s’écrie : « Je veux ! je serai ! à moi l’avenir ! je découvre l’univers ! On n’avait rien vu avant moi ; le monde m’attendait ; je suis incomparable. Mes pères étaient des enfans et des idiots. »

« Les faits ont-ils répondu à ces magnifiques paroles ? Que d’espérances n’ont point été déçues en talens et en caractères ! Si vous en exceptez une trentaine d’hommes d’un mérite réel, quel troupeau de générations libertines, avortées, sans convictions, sans foi politique et religieuse, se précipitant sur l’argent et les places comme des pauvres sur une distribution gratuite ; troupeau qui ne reconnaît point de berger, qui court de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine, dédaignant l’expérience des vieux pâtres durcis au vent et au soleil ! Nous ne sommes que des générations de passage ; générations intermédiaires, obscures, vouées à l’oubli, formant la chaîne pour atteindre les mains qui cueilleront l’avenir.

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« Respectant le malheur et me respectant moi-même, respectant ce que j’ai servi et ce que je continuerai de servir au prix du