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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

Montreuil, au milieu d’une pelouse de gazon entourée de grands arbres, si vous distinguez un pavillon qui ressemble à une mosquée et à une bonbonnière, c’est cela que j’allais regarder bâtir.

Je prenais par la main une petite fille de mon âge qui s’appelait Pierrette, que M. le curé faisait chanter aussi parce qu’elle avait une jolie voix. Elle emportait une grande tartine que lui donnait la bonne du curé qui était sa mère, et nous allions regarder bâtir la petite maison que faisait faire la reine pour la donner à Madame.

Pierrette et moi nous avions environ treize ans. Elle était déjà si belle qu’on l’arrêtait sur son chemin pour lui faire compliment, et que j’ai vu de belles dames descendre de carrosse pour lui parler et l’embrasser ! Quand elle avait un fourreau rouge relevé dans ses poches et bien serré de la ceinture, on voyait bien ce que sa beauté serait un jour. Elle n’y pensait pas, et elle m’aimait comme son frère.

Nous sortions toujours en nous tenant par la main depuis notre petite enfance, et cette habitude était si bien prise, que de ma vie je ne lui donnai le bras. Notre coutume d’aller visiter les ouvriers nous fit faire la connaissance d’un jeune tailleur de pierres, plus âgé que nous de huit ou dix ans. Il nous faisait asseoir sur un moellon ou par terre à côté de lui, et, quand il avait une grande, grande pierre à scier, Pierrette jetait de l’eau sur la scie, et j’en prenais l’extrémité pour l’aider. Aussi ce fut mon meilleur ami dans le monde. Il était d’un caractère très paisible, doux et quelquefois un peu gai, mais pas souvent. Il avait fait une petite chanson sur les pierres qu’il taillait, et sur ce qu’elles étaient plus dures que le cœur de Pierrette, et il jouait en cent façons sur les mots de Pierre, de Pierrette, de Pierrerie, de Pierrier, de Pierrot, et cela nous faisait beaucoup rire tous trois. C’était un grand garçon, grandissant encore, tout pâle et dégingandé, avec de longs bras et de grandes jambes, et qui, quelquefois, avait l’air de ne pas penser à ce qu’il faisait. Il aimait son métier, disait-il, parce qu’il pouvait gagner sa journée en conscience, ayant songé à autre chose jusqu’au coucher du soleil. Son père, architecte, s’était si bien ruiné, je ne sais comment, qu’il fallait que le fils apprît son état par le commencement, et il s’y était fort paisiblement résigné.