Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
256
REVUE DES DEUX MONDES.

— Il ne m’a point quittée, répondis-je, nous vivons ensemble ; il s’oppose à mon départ, que je projette depuis long-temps, mais auquel je n’ai plus la force de penser. — Je retombai dans le silence ; il me donna le bras jusque chez moi. Je ne m’en aperçus qu’en arrivant. Je croyais être appuyée sur le bras de Leoni, et je travaillais à concentrer mes peines et à ne rien dire.

— Voulez-vous que je revienne demain savoir vos intentions ? me dit-il en me laissant sur le seuil.

— Oui, lui dis-je, sans penser qu’il pouvait rencontrer Leoni.

— À quelle heure ? demanda-t-il.

— Quand vous voudrez, lui répondis-je d’un air hébété.

Il vint le lendemain, peu d’instans après que Leoni fut sorti. Je ne me souvenais plus de le lui avoir permis, et je me montrai si surprise de sa visite, qu’il fut obligé de me le rappeler. Alors, me revinrent à la mémoire quelques paroles que j’avais surprises entre Leoni et ses compagnons, mais dont le sens, resté vague dans mon esprit, me semblait applicable à Henryet, et renfermer une menace de mort. Je frémis en songeant à quel danger je l’exposais. — Sortons, lui dis-je avec effroi, vous n’êtes point en sûreté ici. — Il sourit, et sa figure exprima un profond mépris pour ce danger que je redoutais.

— Croyez-moi, dit-il, en voyant que j’allais insister, l’homme dont vous parlez n’oserait lever le bras sur moi, puisqu’il n’ose pas seulement lever les yeux à la hauteur des miens.

Je ne pouvais entendre parler ainsi de Leoni. Malgré tous ses torts, toutes ses fautes, il était encore ce que j’avais de plus cher au monde. Je priai Henryet de ne point le traiter ainsi devant moi.

— Accablez-moi de mépris, lui dis-je, reprochez-moi d’être une fille sans orgueil et sans cœur, d’avoir abandonné les meilleurs parens qui furent jamais et d’avoir foulé aux pieds toutes les lois qui sont imposées à mon sexe, je ne m’en offenserai pas ; je vous écouterai en pleurant, et je ne vous serai pas moins reconnaissante des offres de service que vous m’avez faites hier. Mais laissez-moi respecter le nom de Leoni, c’est le seul bien que dans le secret de mon cœur je puisse encore opposer à l’anathème du monde.

— Respecter le nom de Leoni ! s’écria Henryet avec un rire amer, pauvre femme ! Cependant j’y consentirai si vous voulez