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LEONE LEONI.

partir pour Bruxelles. Allez consoler votre mère, rentrez dans la voie du devoir, et je vous promets de laisser en paix le misérable qui vous a perdue et que je pourrais briser comme une paille.

— Retourner auprès de ma mère ! répondis-je. Oh ! oui, mon cœur me le commande à chaque instant ; mais retourner à Bruxelles, mon orgueil me le défend. De quelle manière y serais-je traitée par toutes ces femmes qui ont été jalouses de mon éclat, et qui maintenant se réjouissent de mon abaissement ?

— Je crains, Juliette, reprit-il, que ce ne soit pas votre meilleure raison. Votre mère a une maison de campagne où vous pourriez vivre avec elle, loin de la société impitoyable. Avec votre fortune, vous pourriez vivre partout ailleurs encore où votre disgrâce ne serait pas connue, et où votre beauté et votre douceur vous feraient bientôt de nouveaux amis. Mais vous ne voulez pas quitter Leoni, convenez-en ?

— Je le veux, lui répondis-je en pleurant, mais je ne le peux pas.

— Malheureuse, malheureuse entre toutes les femmes ! dit Henryet avec tristesse, vous êtes bonne et dévouée, mais vous manquez de fierté. Là où il n’y a pas de noble orgueil, il n’y a pas de ressources. Pauvre créature faible, je vous plains de toute mon ame, car vous avez profané votre cœur, vous l’avez souillé au contact d’un cœur infâme, vous avez courbé la tête sous une main vile, vous aimez un lâche ! Je me demande comment j’ai pu vous aimer autrefois, mais je me demande aussi comment je pourrais à présent ne pas vous plaindre.

— Mais enfin, lui dis-je, effrayée et consternée de son air et de son langage, qu’a donc fait Leoni pour que vous vous croyez le droit de le traiter ainsi ?

— Doutez-vous de ce droit, madame ? Voulez-vous me dire pourquoi Leoni, qui est brave (cela est incontestable), et qui est le premier tireur d’armes que je connaisse, ne s’est jamais avisé de me chercher querelle, à moi qui n’ai jamais touché une épée de ma vie, et qui l’ai chassé de Paris avec un mot, de Bruxelles avec un regard ?

— Cela est inconcevable, dis-je avec accablement.

— Est-ce que vous ne savez pas de qui vous êtes la maîtresse ?